Notes sur oeuvres - Economie
Goldman Sachs. Pour Marc Roche, c’est LA Banque par excellence, l’incarnation du pouvoir financier. Et on ne s’en étonnera pas quand on saura que son bouquin s’ouvre sur le récit de sa rencontre avec un monsieur David de Rothschild, grand baron de la City et « informateur » pour ce livre sur Goldman Sachs.
Ainsi, si nous avons, enfin, un livre sur Goldman Sachs, c’est parce que les Rothschild ont décidé que c’était le moment ! Soyons reconnaissant à Marc Roche de nous en avertir, avec tact mais aussi avec clarté, d’entrée de jeu.
Bref. Ouvrons l’objet, et disséquons-le. On n’y trouvera évidemment pas toute l’information. Mais on en trouvera une partie. Et peut-être une partie juste assez grande pour en déduire le reste.
*
Goldman Sachs a aidé la Grèce à truquer ses comptes pour intégrer la zone euro, en 2002.
C’est que, visiblement, les banquiers d’affaires londoniens nagent comme des poissons dans l’eau dans les eaux troubles des pays à l’économie « grise » florissante et aux normes comptables molles. Et le « hasard » les aide, quand il le faut : cette même année 2002, Eurostat, l’institut européen chargé de contrôler les déclarations des pays candidats à l’euro, est au cœur d’un scandale financier interne, donc fragilisé, donc peu soucieux de se mettre à dos « les marchés ».
Ils nagent bien, ces banquiers, et s’en portent encore mieux. La méthode Goldman Sachs pour « aider » la Grèce repose sur une manipulation des taux de change utilisés pour transférer la dette émise en dollars vers une dette en euros, à l’occasion d’un Credit Default Swap. En « échange » de cette manipulation, qui ne pose aucun problème à Goldman Sachs puisque le marché des Credit Default Swap est totalement non régulé, la Grèce accepte au passage de payer, à son nouveau créancier, des intérêts usuraires. En d’autres termes, Athènes a acheté une réduction du niveau de sa dette publique (pour passer « sous le critère de Maastricht », soit 60 % du PIB) contre une augmentation des intérêts de cette même dette.
Où l’on ne s’étonne plus que le pays soit, dix ans plus tard, en faillite complète… même si, en 2009, pour brouiller les pistes, un ancien trader de Goldman, devenu directeur de la principale banque commerciale grecque, aida son ancien employeur à « transférer » une partie de la dette publique grecque à cette enseigne privée athénienne.
Et dire que pendant ce temps-là, le fisc cherche des poux dans la tête aux PME qui ont oublié de passer mille euros de CA…
Bref. Revenons à Goldman. Comment expliquer qu’une banque américaine deviennent quasiment le conseiller financier, presque le gestionnaire de fait, de nombreux petits Etats européens ?
Une première réponse tient, sans doute, au caractère américain assez relatif de Goldman. Les équipes de « La Banque » sont tout à fait « transnationales ». On chercherait en vain, dans le récit de Marc Roche, à typer le « collaborateur » de Goldman sur une base ethnique ou religieuse. Seul le niveau dirigeant est caractérisé (principalement juif et WASP, tout de même, chez les hauts dirigeants). Dès qu’on arrive au niveau des rouages (y compris parmi les 400 associés), on trouve des Grecs (qui ruinent leur propre pays en échange d’une prime de fin d’années somptueuse), des Allemands et des Français (pas tant que ça), beaucoup d’Italiens et d’Indiens… Au final un peu de tout : pour entrer chez Goldman, tant qu’on ne vise pas le niveau dirigeant, l’essentiel est d’avoir le « style maison » (costume sombre, chaussettes grises, chemise blanche, cravate sobre, on est loin des « cowboys » de Salomon Brothers), et soit un bon carnet d’adresses, soit une grande compétence technique et relationnelle (qui permettra de bâtir le carnet d’adresses, plus tard).
Cela dit, entrer n’est pas tout. Le vrai problème, c’est de rester…
En interne, la sélection est impitoyable. Goldman, du point de vue de ses 30.000 fantassins de base, c’est 10 % de licenciements par an, « up or out ». La maison interdit l’emploi du « Je » dans les mémos internes, le « nous » est de rigueur. Le système veut que le travail soit systématiquement accompli en binôme. Esprit d’équipe obligatoire. Bonne forme physique aussi : Goldman recrute de préférence des sportifs (rugby, foot américain, pour l’agressivité et l’esprit de clan). Horaires : délirants. 18 heures par jour, très souvent. Six jours sur sept (le « jour du Seigneur » est, au choix, le samedi ou le dimanche). Règle qui dit tout : le collaborateur de Goldman n’a pas le droit d’éteindre son Blackberry. A tout moment, on doit pouvoir le joindre. C’est qu’il sait peut-être quelque chose, sur un client, sur un concurrent. Goldman fonctionne en pratique autant comme une centrale de renseignement que comme une banque d’affaires classiques, et la collecte du renseignement est d’abord l’affaire des « footsoldiers » de La Banque.
Des équipes « transnationales » mais homogènes, donc, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles disposent d’une certaine influence. Exemples évidemment extrêmes, mais emblématiques : prenons Mario Draghi, gouverneur de la Banque d’Italie et candidat à la succession de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE, et prenons l’ex-commissaire européen au Marché Intérieur puis à la Concurrence, Mario Monti. Qui sont ces messieurs pour « La Banque » ? Eh bien, Mario Draghi a été vice-président pour l’Europe de Goldman. Mario Monti est quant à lui conseiller de cette même firme depuis 2008 et la fin de son mandat à la commission.
En somme, les choses sont claires. Si vous voulez savoir pourquoi la zone euro se défend mal contre les attaques « des marchés » (crise grecque, crise irlandaise), ne cherchez pas : « les marchés », c’est Goldman (en grande partie), et la commission de Bruxelles aussi (en partie du moins).
A part ce qui appartient à proprement parler aux Etats-nations France et Allemagne, qui ont leurs propres réseaux et les sécurisent tout de même un tout peu mieux que les petits pays, le reste de l’Europe est largement infiltré par le vers transnational « Goldman », un parasite opportuniste provoquant des dommages irréversibles aux tissus qu’il pénètre (1). La structure même des carrières chez Goldman est d’ailleurs pensée dans cette optique d’infiltration progressive : dans « La Banque », on monte vite (ou on dégage), et on ne reste « partner » que quelques années, puis on se retrouve « jeune retraité », propulsé par le « réseau » dans une position où l’on pourra, encore, servir de relais d’influence à La Banque.
En France, l’influence de Goldman est passée, au début des années 1990, par le transfert dans ses équipes d’un représentant de la maison Rothschild, lequel fera basculer dans le « camp Goldman » un monsieur Jacques Mayoux, pur représentant de l’élite économique française classique (Inspection Générale des Finances, président de la Société Générale, etc.).
Cette anecdote, que Marc Roche nous rapporte sans faire davantage de commentaires, nous en dit assez long sur ce qu’est vraiment Goldman : non le cœur de la pieuvre financière « anglo-saxonne », mais plutôt une tête chercheuse, une aile avancée. Et lorsque la tête chercheuse a du mal à s’infiltrer quelque part, on fait donner le soutien lourd (réseaux Rothschild). C’est ainsi, sans doute, qu’il faut se représenter Goldman, en tant qu’elle est d’abord une banque d’affaires, au service d’intérêts privés, dont la motivation première est le profit.
*
Mais Goldman, ce n’est pas que de la finance, même de très haut niveau. C’est aussi, en réalité, de la politique, et même de la géopolitique. En 2010, Mario Monti a succédé à Peter Sutherland, un autre ancien de Goldman, à la tête de la Trilatérale. A Bruxelles, Goldman entretient une véritable armée de lobbyistes chargé de défendre ses intérêts. Et qui, mieux que Mario Monti, saurait les appuyer, si besoin est, quand il faut pénétrer au plus haut niveau de la Commission ? Monti appuie Goldman à Bruxelles, Goldman appuie Monti pour la Trilatérale. D’une commission l’autre. Voilà qui nous gouverne, en réalité. Au cœur de ce système : l’adossement réciproque du pouvoir financier et du pouvoir politique, au point qu’il est difficile de les distinguer.
Il est évident que Goldman, dans ces conditions, est plus qu’une tête chercheuse du pouvoir financier londonien – new yorkais : c’est aussi une agence au service de l’Empire anglo-américain, un acteur politique et géopolitique. Quand Goldman assiste Mittal pour prendre le contrôle d’Arcelor, il ne s’agit pas que de profit. Il s’agit aussi d’une société américaine passant un accord avec un sidérurgiste indien pour contrôler une partie de la sidérurgie européenne. Bien sûr, le profit, les intérêts particuliers, tout cela joue un rôle. Yoël Zaoui, le codirecteur « français » (un libéral pur, persuadé que le « patriotisme économique » est une arriération, et que seul compte le bénéfice de l’actionnaire) préfère évidemment le richissime Mittal, jamais avare de commissions juteuses, au sobre Dollé (le PDG d’Arcelor, et sans doute, à l’époque, le patron le moins bien payé du CAC 40). Mais plus profondément, quand il s’agit d’évincer le russe Severstal, dont le patron est très proche du Kremlin de Poutine, qui peut croire qu’une institution anglo-saxonne n’est pas pilotée aussi en fonction de considérations géopolitiques ?
D’autant plus qu’il est tout de même en train de devenir difficile de distinguer Goldman Sachs du gouvernement économique des USA ! Les « anciens de la maison » comptent dans leurs rangs, par exemple, Robert Rubin (conseiller de Clinton, responsable de l’abolition de la loi Glass-Steagal, éminence grise économique d’Obama), et Hank Paulson (secrétaire au Trésor de Bush). Goldman Sachs a été le plus grand contributeur à la campagne Obama. Tim Geithner, le secrétaire au Trésor d’Obama, a choisi comme bras droit un lobbyiste qui travaille depuis dix ans pour Goldman.
*
Où en est Goldman aujourd’hui ?
Pour Marc Roche, La Banque voit son influence contestée, fragilisée, menacée même dans son principe, essentiellement parce qu’à l’occasion de la crise de 2008, cette influence est devenue visible, et surtout son caractère négatif est devenu évident. Il souligne en particulier la rébellion latente d’une partie des élites européennes contre un partenaire financier anglo-saxon de plus en plus prédateur, rébellion sans doute plus sensible en Allemagne qu’ailleurs (les Allemands ayant accumulé beaucoup de devises du fait de leurs excédents commerciaux, ils ont été les principaux clients des banques d’affaires anglo-saxonnes pendant la bulle des années 2000, et ont donc beaucoup perdu lors de l’implosion finale).
Goldman, du fait de ses méthodes agressives, parfois à la limite de l’extorsion de fonds pure et simple, est en outre la plus mal vue des grandes institutions financières anglo-saxonnes. Elle s’est trouvée récemment au cœur de trop d’affaires douteuses. Conseiller à ses clients des titres sur lesquels on spécule soi-même à la baisse n’est pas franchement une bonne façon d’inspirer confiance (affaire Fabrice Tourre). Financer l’exploitation de ressources pétrolières difficilement accessibles dans le Golfe du Mexique, puis manipuler les marchés pour s’économiser le prix d’une catastrophe écologique (affaire Deepwater Horizon) ne vous rend pas forcément très populaire.
De nombreux signaux indiquent clairement que la « tête chercheuse » financière de l’oligarchie US / Grande-Bretagne pourrait bien faire les frais des évolutions prochaines. Avec une économique atlantique quelque part entre le coma dépassé et la mort clinique, une « reprise Obama » inexistante, ou plutôt réduite à l’impact (à peine perceptible) d’un dernier « shoot à la dette » (publique, cette fois), cette oligarchie va avoir besoin de couper quelques têtes symboliques pour se maintenir à l’occasion d’un changement d’apparences.
Si l’on décode bien le travail de Marc Roche, il semble que l’affaire soit déjà sur les rails (projet de régulation de l’administration Obama). « La Banque », bien sûr, ne va pas se laisser faire. Mais on peut supposer que la catastrophe qui s’apprête à fondre sur l’économie atlantique (la vraie, celle des usines, des champs et des laboratoires de recherche) est telle qu’à un certain moment, une sorte de « nouveau New Deal » aura lieu – avec Obama ou, plutôt, son successeur, dans le rôle de Roosevelt, et Goldman dans celui d’un clone contemporain du JP Morgan des années 30.
Evidemment, ça ne changera rien. Il s’agit aujourd’hui d’opérer une refondation globale du système économique, politique, social et culturel de l’Occident ; pas de démanteler une institution en particulier. On ne guérit pas d’un empoisonnement du sang en perçant un bouton de fièvre, mais en subissant une transfusion totale. Goldman n’est pas intéressante en elle-même, sauf à la rigueur si l’on veut comprendre comment fonctionne la perversion terminale de l’héritage puritain nord-américain par l’esprit de lucre désincarné. Goldman est intéressante parce que sa chute va, peut-être, nous donner l’opportunité de mieux comprendre le fonctionnement global des vampires globaux dont « La Banque » fut, ces dernières années, l’aile marchante.
( 1 ) Qu’il soit bien entendu, pour ceux qui verraient dans cette analogie « banquier d’affaires = parasite transnational » un hommage à une certaine rhétorique qui fleurit dans les années 1930 (la « ploutocratie cosmopolite » !), que quant à nous, nous n’assimilons nullement Goldman à un groupe ethnique, quel qu’il soit. Nous savons parfaitement que ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de Juifs chez Goldman qu’il y a beaucoup de Goldman chez les Juifs !
Cette précision étant apportée, qu’il soit bien entendu, aussi, que Goldman et consorts fonctionnent tout à fait comme un parasite proliférant. Ça, c’est un fait. Nous n’y pouvons rien.
Ainsi, si nous avons, enfin, un livre sur Goldman Sachs, c’est parce que les Rothschild ont décidé que c’était le moment ! Soyons reconnaissant à Marc Roche de nous en avertir, avec tact mais aussi avec clarté, d’entrée de jeu.
Bref. Ouvrons l’objet, et disséquons-le. On n’y trouvera évidemment pas toute l’information. Mais on en trouvera une partie. Et peut-être une partie juste assez grande pour en déduire le reste.
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Goldman Sachs a aidé la Grèce à truquer ses comptes pour intégrer la zone euro, en 2002.
C’est que, visiblement, les banquiers d’affaires londoniens nagent comme des poissons dans l’eau dans les eaux troubles des pays à l’économie « grise » florissante et aux normes comptables molles. Et le « hasard » les aide, quand il le faut : cette même année 2002, Eurostat, l’institut européen chargé de contrôler les déclarations des pays candidats à l’euro, est au cœur d’un scandale financier interne, donc fragilisé, donc peu soucieux de se mettre à dos « les marchés ».
Ils nagent bien, ces banquiers, et s’en portent encore mieux. La méthode Goldman Sachs pour « aider » la Grèce repose sur une manipulation des taux de change utilisés pour transférer la dette émise en dollars vers une dette en euros, à l’occasion d’un Credit Default Swap. En « échange » de cette manipulation, qui ne pose aucun problème à Goldman Sachs puisque le marché des Credit Default Swap est totalement non régulé, la Grèce accepte au passage de payer, à son nouveau créancier, des intérêts usuraires. En d’autres termes, Athènes a acheté une réduction du niveau de sa dette publique (pour passer « sous le critère de Maastricht », soit 60 % du PIB) contre une augmentation des intérêts de cette même dette.
Où l’on ne s’étonne plus que le pays soit, dix ans plus tard, en faillite complète… même si, en 2009, pour brouiller les pistes, un ancien trader de Goldman, devenu directeur de la principale banque commerciale grecque, aida son ancien employeur à « transférer » une partie de la dette publique grecque à cette enseigne privée athénienne.
Et dire que pendant ce temps-là, le fisc cherche des poux dans la tête aux PME qui ont oublié de passer mille euros de CA…
Bref. Revenons à Goldman. Comment expliquer qu’une banque américaine deviennent quasiment le conseiller financier, presque le gestionnaire de fait, de nombreux petits Etats européens ?
Une première réponse tient, sans doute, au caractère américain assez relatif de Goldman. Les équipes de « La Banque » sont tout à fait « transnationales ». On chercherait en vain, dans le récit de Marc Roche, à typer le « collaborateur » de Goldman sur une base ethnique ou religieuse. Seul le niveau dirigeant est caractérisé (principalement juif et WASP, tout de même, chez les hauts dirigeants). Dès qu’on arrive au niveau des rouages (y compris parmi les 400 associés), on trouve des Grecs (qui ruinent leur propre pays en échange d’une prime de fin d’années somptueuse), des Allemands et des Français (pas tant que ça), beaucoup d’Italiens et d’Indiens… Au final un peu de tout : pour entrer chez Goldman, tant qu’on ne vise pas le niveau dirigeant, l’essentiel est d’avoir le « style maison » (costume sombre, chaussettes grises, chemise blanche, cravate sobre, on est loin des « cowboys » de Salomon Brothers), et soit un bon carnet d’adresses, soit une grande compétence technique et relationnelle (qui permettra de bâtir le carnet d’adresses, plus tard).
Cela dit, entrer n’est pas tout. Le vrai problème, c’est de rester…
En interne, la sélection est impitoyable. Goldman, du point de vue de ses 30.000 fantassins de base, c’est 10 % de licenciements par an, « up or out ». La maison interdit l’emploi du « Je » dans les mémos internes, le « nous » est de rigueur. Le système veut que le travail soit systématiquement accompli en binôme. Esprit d’équipe obligatoire. Bonne forme physique aussi : Goldman recrute de préférence des sportifs (rugby, foot américain, pour l’agressivité et l’esprit de clan). Horaires : délirants. 18 heures par jour, très souvent. Six jours sur sept (le « jour du Seigneur » est, au choix, le samedi ou le dimanche). Règle qui dit tout : le collaborateur de Goldman n’a pas le droit d’éteindre son Blackberry. A tout moment, on doit pouvoir le joindre. C’est qu’il sait peut-être quelque chose, sur un client, sur un concurrent. Goldman fonctionne en pratique autant comme une centrale de renseignement que comme une banque d’affaires classiques, et la collecte du renseignement est d’abord l’affaire des « footsoldiers » de La Banque.
Des équipes « transnationales » mais homogènes, donc, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles disposent d’une certaine influence. Exemples évidemment extrêmes, mais emblématiques : prenons Mario Draghi, gouverneur de la Banque d’Italie et candidat à la succession de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE, et prenons l’ex-commissaire européen au Marché Intérieur puis à la Concurrence, Mario Monti. Qui sont ces messieurs pour « La Banque » ? Eh bien, Mario Draghi a été vice-président pour l’Europe de Goldman. Mario Monti est quant à lui conseiller de cette même firme depuis 2008 et la fin de son mandat à la commission.
En somme, les choses sont claires. Si vous voulez savoir pourquoi la zone euro se défend mal contre les attaques « des marchés » (crise grecque, crise irlandaise), ne cherchez pas : « les marchés », c’est Goldman (en grande partie), et la commission de Bruxelles aussi (en partie du moins).
A part ce qui appartient à proprement parler aux Etats-nations France et Allemagne, qui ont leurs propres réseaux et les sécurisent tout de même un tout peu mieux que les petits pays, le reste de l’Europe est largement infiltré par le vers transnational « Goldman », un parasite opportuniste provoquant des dommages irréversibles aux tissus qu’il pénètre (1). La structure même des carrières chez Goldman est d’ailleurs pensée dans cette optique d’infiltration progressive : dans « La Banque », on monte vite (ou on dégage), et on ne reste « partner » que quelques années, puis on se retrouve « jeune retraité », propulsé par le « réseau » dans une position où l’on pourra, encore, servir de relais d’influence à La Banque.
En France, l’influence de Goldman est passée, au début des années 1990, par le transfert dans ses équipes d’un représentant de la maison Rothschild, lequel fera basculer dans le « camp Goldman » un monsieur Jacques Mayoux, pur représentant de l’élite économique française classique (Inspection Générale des Finances, président de la Société Générale, etc.).
Cette anecdote, que Marc Roche nous rapporte sans faire davantage de commentaires, nous en dit assez long sur ce qu’est vraiment Goldman : non le cœur de la pieuvre financière « anglo-saxonne », mais plutôt une tête chercheuse, une aile avancée. Et lorsque la tête chercheuse a du mal à s’infiltrer quelque part, on fait donner le soutien lourd (réseaux Rothschild). C’est ainsi, sans doute, qu’il faut se représenter Goldman, en tant qu’elle est d’abord une banque d’affaires, au service d’intérêts privés, dont la motivation première est le profit.
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Mais Goldman, ce n’est pas que de la finance, même de très haut niveau. C’est aussi, en réalité, de la politique, et même de la géopolitique. En 2010, Mario Monti a succédé à Peter Sutherland, un autre ancien de Goldman, à la tête de la Trilatérale. A Bruxelles, Goldman entretient une véritable armée de lobbyistes chargé de défendre ses intérêts. Et qui, mieux que Mario Monti, saurait les appuyer, si besoin est, quand il faut pénétrer au plus haut niveau de la Commission ? Monti appuie Goldman à Bruxelles, Goldman appuie Monti pour la Trilatérale. D’une commission l’autre. Voilà qui nous gouverne, en réalité. Au cœur de ce système : l’adossement réciproque du pouvoir financier et du pouvoir politique, au point qu’il est difficile de les distinguer.
Il est évident que Goldman, dans ces conditions, est plus qu’une tête chercheuse du pouvoir financier londonien – new yorkais : c’est aussi une agence au service de l’Empire anglo-américain, un acteur politique et géopolitique. Quand Goldman assiste Mittal pour prendre le contrôle d’Arcelor, il ne s’agit pas que de profit. Il s’agit aussi d’une société américaine passant un accord avec un sidérurgiste indien pour contrôler une partie de la sidérurgie européenne. Bien sûr, le profit, les intérêts particuliers, tout cela joue un rôle. Yoël Zaoui, le codirecteur « français » (un libéral pur, persuadé que le « patriotisme économique » est une arriération, et que seul compte le bénéfice de l’actionnaire) préfère évidemment le richissime Mittal, jamais avare de commissions juteuses, au sobre Dollé (le PDG d’Arcelor, et sans doute, à l’époque, le patron le moins bien payé du CAC 40). Mais plus profondément, quand il s’agit d’évincer le russe Severstal, dont le patron est très proche du Kremlin de Poutine, qui peut croire qu’une institution anglo-saxonne n’est pas pilotée aussi en fonction de considérations géopolitiques ?
D’autant plus qu’il est tout de même en train de devenir difficile de distinguer Goldman Sachs du gouvernement économique des USA ! Les « anciens de la maison » comptent dans leurs rangs, par exemple, Robert Rubin (conseiller de Clinton, responsable de l’abolition de la loi Glass-Steagal, éminence grise économique d’Obama), et Hank Paulson (secrétaire au Trésor de Bush). Goldman Sachs a été le plus grand contributeur à la campagne Obama. Tim Geithner, le secrétaire au Trésor d’Obama, a choisi comme bras droit un lobbyiste qui travaille depuis dix ans pour Goldman.
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Où en est Goldman aujourd’hui ?
Pour Marc Roche, La Banque voit son influence contestée, fragilisée, menacée même dans son principe, essentiellement parce qu’à l’occasion de la crise de 2008, cette influence est devenue visible, et surtout son caractère négatif est devenu évident. Il souligne en particulier la rébellion latente d’une partie des élites européennes contre un partenaire financier anglo-saxon de plus en plus prédateur, rébellion sans doute plus sensible en Allemagne qu’ailleurs (les Allemands ayant accumulé beaucoup de devises du fait de leurs excédents commerciaux, ils ont été les principaux clients des banques d’affaires anglo-saxonnes pendant la bulle des années 2000, et ont donc beaucoup perdu lors de l’implosion finale).
Goldman, du fait de ses méthodes agressives, parfois à la limite de l’extorsion de fonds pure et simple, est en outre la plus mal vue des grandes institutions financières anglo-saxonnes. Elle s’est trouvée récemment au cœur de trop d’affaires douteuses. Conseiller à ses clients des titres sur lesquels on spécule soi-même à la baisse n’est pas franchement une bonne façon d’inspirer confiance (affaire Fabrice Tourre). Financer l’exploitation de ressources pétrolières difficilement accessibles dans le Golfe du Mexique, puis manipuler les marchés pour s’économiser le prix d’une catastrophe écologique (affaire Deepwater Horizon) ne vous rend pas forcément très populaire.
De nombreux signaux indiquent clairement que la « tête chercheuse » financière de l’oligarchie US / Grande-Bretagne pourrait bien faire les frais des évolutions prochaines. Avec une économique atlantique quelque part entre le coma dépassé et la mort clinique, une « reprise Obama » inexistante, ou plutôt réduite à l’impact (à peine perceptible) d’un dernier « shoot à la dette » (publique, cette fois), cette oligarchie va avoir besoin de couper quelques têtes symboliques pour se maintenir à l’occasion d’un changement d’apparences.
Si l’on décode bien le travail de Marc Roche, il semble que l’affaire soit déjà sur les rails (projet de régulation de l’administration Obama). « La Banque », bien sûr, ne va pas se laisser faire. Mais on peut supposer que la catastrophe qui s’apprête à fondre sur l’économie atlantique (la vraie, celle des usines, des champs et des laboratoires de recherche) est telle qu’à un certain moment, une sorte de « nouveau New Deal » aura lieu – avec Obama ou, plutôt, son successeur, dans le rôle de Roosevelt, et Goldman dans celui d’un clone contemporain du JP Morgan des années 30.
Evidemment, ça ne changera rien. Il s’agit aujourd’hui d’opérer une refondation globale du système économique, politique, social et culturel de l’Occident ; pas de démanteler une institution en particulier. On ne guérit pas d’un empoisonnement du sang en perçant un bouton de fièvre, mais en subissant une transfusion totale. Goldman n’est pas intéressante en elle-même, sauf à la rigueur si l’on veut comprendre comment fonctionne la perversion terminale de l’héritage puritain nord-américain par l’esprit de lucre désincarné. Goldman est intéressante parce que sa chute va, peut-être, nous donner l’opportunité de mieux comprendre le fonctionnement global des vampires globaux dont « La Banque » fut, ces dernières années, l’aile marchante.
( 1 ) Qu’il soit bien entendu, pour ceux qui verraient dans cette analogie « banquier d’affaires = parasite transnational » un hommage à une certaine rhétorique qui fleurit dans les années 1930 (la « ploutocratie cosmopolite » !), que quant à nous, nous n’assimilons nullement Goldman à un groupe ethnique, quel qu’il soit. Nous savons parfaitement que ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de Juifs chez Goldman qu’il y a beaucoup de Goldman chez les Juifs !
Cette précision étant apportée, qu’il soit bien entendu, aussi, que Goldman et consorts fonctionnent tout à fait comme un parasite proliférant. Ça, c’est un fait. Nous n’y pouvons rien.
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