Mercredi, 08 Décembre 2010 | Écrit par Maurice Gendre |
Rencontres - Les intervenants externes
L'auteur du pamphlet 183 jours dans la barbarie ordinaire - En CDD chez Pôle Emploi (Plon), Marion Bergeron, répond aux questions de Scriptoblog.
Une description sans concession du nouvel enfer social français.
Entretien réalisé par Maurice Gendre
1) Pouvez-vous expliquer comment vous avez été embauchée au Pôle Emploi ?
En Avril 2009, je suis arrivée au bout de mes indemnités assédic. Je n'avais plus la possibilité de chercher un emploi dans mon secteur : le graphisme. Pôle Emploi faisait la promotion du recrutement de 1840 agents. J'ai envoyé ma candidature comme une bouteille à la mer, sans trop y croire car je n'avais aucune expérience dans ce domaine. J'ai été convoquée pour un entretien très court. Les deux agents que j'ai alors rencontrés m'ont promis une formation qui me permettrait de devenir une vraie professionnelle. Le lendemain, je prenais mon poste dans une agence de la banlieue parisienne. L'équipe sur place n'était pas au courant de mon arrivée et, dès le deuxième jour, je me suis retrouvée seule pour assurer l'accueil, sans formation.
2) Vu de l'extérieur, l'efficacité de la fusion ANPE-ASSEDIC paraissait peu évidente. De plus, avec la hausse du chômage, elle semble être tombée au plus mauvais moment. Comment avez-vous vécu ce rapprochement ANPE-ASSEDIC ?
Je me suis vite rendue compte que Pôle Emploi n'était qu'une chimère de papier, un logo au-dessus des portes. Aucun moyen n'a été donné aux agents pour mettre réellement en place un nouveau service. Les formations n'étaient qu'une mascarade, les équipes étaient divisées et les demandeurs perdus. Pour moi, cette fusion est une catastrophe. Sa seule réalité est géographique, on a effectivement regroupé les agences. Pourtant, derrière, rien n'existe, ni le conseiller unique qui a été abandonné, ni la simplification des démarches qui se sont, au contraire, alourdies d'un niveau de filtrage supplémentaire dans les accueils.
Pour les demandeurs, Pôle Emploi est encore plus opaque et inaccessible. Pour les agents, leurs repères sont malmenés et ils ne savent plus trop en quoi consiste leur métier. Ajoutez à cela un contexte de pénuries d'emplois et l'ambiance devient réellement explosive.
3) Comment sont traités les salariés du Pôle et les demandeurs d'emploi qui y sont reçus ?
Aujourd'hui, Pôle Emploi maltraite ses usagers comme son personnel. En imposant des charges de travail incroyables, en transformant le sous-effectif en mode de fonctionnement normalisé, en vidant le suivi des demandeurs de son sens pour le transformer en simple machine à statistique, Pôle Emploi méprise tout le monde. Les conseillers ne peuvent plus exercer leur travail et les demandeurs ne peuvent plus bénéficier de l'aide dont ils ont besoin. Pôle Emploi est devenu une machine absurde et humiliante. C'est aussi ce que j'ai voulu raconter dans mon livre.
4) Quelles mésaventures ou quelles anecdotes (emblématiques selon vous), jugez-vous a posteriori les plus choquantes ?
Je me souviens d'un homme qui m'a menacée, insultée et physiquement malmenée. J'assurais simplement l'accueil et il avait reçu un avertissement avant radiation. Il ne voulait rien savoir. Il était à bout. Il voulait se venger de cette administration qui le méprisait, qui lui envoyait des courriers qu'il ne comprenait pas et qui ne faisait manifestement aucun cas des difficultés qu'il rencontrait. Ce jour-là, c'est moi qui tenait l'accueil, alors, c'est moi qui ai reçu toute cette violence. Aujourd'hui, je suis incapable de me souvenir de son visage. Pas parce que ma mémoire a choisi de l'oublier, mais simplement parce qu'il n'a pas été le seul, parce que les altercations sont quotidiennes, parce que j'ai fini par travailler dans un climat continuel de peur et de violence.
5) Avez-vous vu des collègues sombrer dans la dépression voire pire durant vos six mois au Pôle Emploi ?
Oui, j'ai vu de nombreux collègues craquer. Des conseillères qui pleurent la veille de leur départ en congé. Des arrêts maladie à répétition. Des agents qui n'arrivent simplement plus, de temps en temps, à venir travailler le matin. Quelques jours après la fin de mon contrat, un de mes collègues a tenté de mettre fin à ses jours. Personne dans l'agence n'a de doute sur l'origine de son malaise : Pôle Emploi. Aujourd'hui, la souffrance des agents est palpable : les arrêts maladies se multiplient.
6) Quel fut l'impact de cette expérience sur votre privée et familiale ?
De mon côté, je n'ai pas mieux résisté à ce cocktail de violence et d'impuissance. Il est difficile de rentrer chez soi, chaque soir, avec le récit d'une nouvelle incivilité, d'une nouvelle absurdité. J'ai fini par ne plus pouvoir dire ce que je vivais. Mon couple n'a pas résisté.
J'ai été plusieurs fois en arrêt maladie. Mon médecin, qui m'avait prescrit des antidépresseurs, a été soulagé lorsque j'ai refusé le CDI proposé par Pôle Emploi. Ce travail était réellement mauvais pour mon équilibre et pour ma santé. Et, la situation dans laquelle je me trouvais n'avait rien d'exceptionnel.
7) Que préconisez-vous pour que le Pôle Emploi sorte de l'ornière ? Existe-t-il une méthode pour permettre un retour à l'emploi dans des conditions dignes et honorables ?
Je pense que c'est le fonctionnement de Pôle Emploi qui est vicié. Ce n'est plus qu'une usine à chiffre dont la seule ambition est de nourrir un logiciel retord afin de fournir des statistiques. Les demandeurs ne sont que des lignes de chiffres à convoquer, à recevoir, à orienter, etc. Et les employés ne sont pas sensé avoir d'état d'âme.
Pour moi, il me parait urgent d'arrêter de traiter tous les demandeurs sur le même mode. C'est un public varié dont les attentes sont très différentes. Ceux qui sont autonomes n'ont absolument pas besoin de nos services. Il faut se concentrer sur la frange de la population la plus fragilisée, celle qui a vraiment besoin d'un accompagnement et revenir aux fondamentaux : rédiger les CV et les lettres de motivations, accompagner pour les entretiens, être réactifs et disponibles, etc.
8) Que comptez-vous faire désormais ? Avez-vous des projets ?
J'ai aujourd'hui repris mes études, une licence de webdesign, grâce à un financement du Fongecif. Je souhaite pouvoir travailler dans mon domaine, en tant que freelance car je suis aujourd'hui vaccinée contre le statut d'employé. J'espère ne plus jamais remettre les pieds chez Pôle Emploi.
Propos recueillis par Maurice Gendre
Rencontres - Les intervenants externes
L'auteur du pamphlet 183 jours dans la barbarie ordinaire - En CDD chez Pôle Emploi (Plon), Marion Bergeron, répond aux questions de Scriptoblog.
Une description sans concession du nouvel enfer social français.
Entretien réalisé par Maurice Gendre
1) Pouvez-vous expliquer comment vous avez été embauchée au Pôle Emploi ?
En Avril 2009, je suis arrivée au bout de mes indemnités assédic. Je n'avais plus la possibilité de chercher un emploi dans mon secteur : le graphisme. Pôle Emploi faisait la promotion du recrutement de 1840 agents. J'ai envoyé ma candidature comme une bouteille à la mer, sans trop y croire car je n'avais aucune expérience dans ce domaine. J'ai été convoquée pour un entretien très court. Les deux agents que j'ai alors rencontrés m'ont promis une formation qui me permettrait de devenir une vraie professionnelle. Le lendemain, je prenais mon poste dans une agence de la banlieue parisienne. L'équipe sur place n'était pas au courant de mon arrivée et, dès le deuxième jour, je me suis retrouvée seule pour assurer l'accueil, sans formation.
2) Vu de l'extérieur, l'efficacité de la fusion ANPE-ASSEDIC paraissait peu évidente. De plus, avec la hausse du chômage, elle semble être tombée au plus mauvais moment. Comment avez-vous vécu ce rapprochement ANPE-ASSEDIC ?
Je me suis vite rendue compte que Pôle Emploi n'était qu'une chimère de papier, un logo au-dessus des portes. Aucun moyen n'a été donné aux agents pour mettre réellement en place un nouveau service. Les formations n'étaient qu'une mascarade, les équipes étaient divisées et les demandeurs perdus. Pour moi, cette fusion est une catastrophe. Sa seule réalité est géographique, on a effectivement regroupé les agences. Pourtant, derrière, rien n'existe, ni le conseiller unique qui a été abandonné, ni la simplification des démarches qui se sont, au contraire, alourdies d'un niveau de filtrage supplémentaire dans les accueils.
Pour les demandeurs, Pôle Emploi est encore plus opaque et inaccessible. Pour les agents, leurs repères sont malmenés et ils ne savent plus trop en quoi consiste leur métier. Ajoutez à cela un contexte de pénuries d'emplois et l'ambiance devient réellement explosive.
3) Comment sont traités les salariés du Pôle et les demandeurs d'emploi qui y sont reçus ?
Aujourd'hui, Pôle Emploi maltraite ses usagers comme son personnel. En imposant des charges de travail incroyables, en transformant le sous-effectif en mode de fonctionnement normalisé, en vidant le suivi des demandeurs de son sens pour le transformer en simple machine à statistique, Pôle Emploi méprise tout le monde. Les conseillers ne peuvent plus exercer leur travail et les demandeurs ne peuvent plus bénéficier de l'aide dont ils ont besoin. Pôle Emploi est devenu une machine absurde et humiliante. C'est aussi ce que j'ai voulu raconter dans mon livre.
4) Quelles mésaventures ou quelles anecdotes (emblématiques selon vous), jugez-vous a posteriori les plus choquantes ?
Je me souviens d'un homme qui m'a menacée, insultée et physiquement malmenée. J'assurais simplement l'accueil et il avait reçu un avertissement avant radiation. Il ne voulait rien savoir. Il était à bout. Il voulait se venger de cette administration qui le méprisait, qui lui envoyait des courriers qu'il ne comprenait pas et qui ne faisait manifestement aucun cas des difficultés qu'il rencontrait. Ce jour-là, c'est moi qui tenait l'accueil, alors, c'est moi qui ai reçu toute cette violence. Aujourd'hui, je suis incapable de me souvenir de son visage. Pas parce que ma mémoire a choisi de l'oublier, mais simplement parce qu'il n'a pas été le seul, parce que les altercations sont quotidiennes, parce que j'ai fini par travailler dans un climat continuel de peur et de violence.
5) Avez-vous vu des collègues sombrer dans la dépression voire pire durant vos six mois au Pôle Emploi ?
Oui, j'ai vu de nombreux collègues craquer. Des conseillères qui pleurent la veille de leur départ en congé. Des arrêts maladie à répétition. Des agents qui n'arrivent simplement plus, de temps en temps, à venir travailler le matin. Quelques jours après la fin de mon contrat, un de mes collègues a tenté de mettre fin à ses jours. Personne dans l'agence n'a de doute sur l'origine de son malaise : Pôle Emploi. Aujourd'hui, la souffrance des agents est palpable : les arrêts maladies se multiplient.
6) Quel fut l'impact de cette expérience sur votre privée et familiale ?
De mon côté, je n'ai pas mieux résisté à ce cocktail de violence et d'impuissance. Il est difficile de rentrer chez soi, chaque soir, avec le récit d'une nouvelle incivilité, d'une nouvelle absurdité. J'ai fini par ne plus pouvoir dire ce que je vivais. Mon couple n'a pas résisté.
J'ai été plusieurs fois en arrêt maladie. Mon médecin, qui m'avait prescrit des antidépresseurs, a été soulagé lorsque j'ai refusé le CDI proposé par Pôle Emploi. Ce travail était réellement mauvais pour mon équilibre et pour ma santé. Et, la situation dans laquelle je me trouvais n'avait rien d'exceptionnel.
7) Que préconisez-vous pour que le Pôle Emploi sorte de l'ornière ? Existe-t-il une méthode pour permettre un retour à l'emploi dans des conditions dignes et honorables ?
Je pense que c'est le fonctionnement de Pôle Emploi qui est vicié. Ce n'est plus qu'une usine à chiffre dont la seule ambition est de nourrir un logiciel retord afin de fournir des statistiques. Les demandeurs ne sont que des lignes de chiffres à convoquer, à recevoir, à orienter, etc. Et les employés ne sont pas sensé avoir d'état d'âme.
Pour moi, il me parait urgent d'arrêter de traiter tous les demandeurs sur le même mode. C'est un public varié dont les attentes sont très différentes. Ceux qui sont autonomes n'ont absolument pas besoin de nos services. Il faut se concentrer sur la frange de la population la plus fragilisée, celle qui a vraiment besoin d'un accompagnement et revenir aux fondamentaux : rédiger les CV et les lettres de motivations, accompagner pour les entretiens, être réactifs et disponibles, etc.
8) Que comptez-vous faire désormais ? Avez-vous des projets ?
J'ai aujourd'hui repris mes études, une licence de webdesign, grâce à un financement du Fongecif. Je souhaite pouvoir travailler dans mon domaine, en tant que freelance car je suis aujourd'hui vaccinée contre le statut d'employé. J'espère ne plus jamais remettre les pieds chez Pôle Emploi.
Propos recueillis par Maurice Gendre
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