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dimanche 20 février 2011

Le désenchantement du monde (M. Gauchet)

Notes sur oeuvres - Histoire
Gauchet

Gauchet reprend l’expression de « désenchantement du monde », utilisée par Max Weber pour décrire l’élimination du magique dans la construction du Salut, mais ce qu’il désigne par là va au-delà de l’objet désigné par Weber. Pour Marcel Gauchet, le religieux en tant que principe extérieur au social, et qui modèle le social depuis l’extérieur, c’est fini. Et l’originalité de l’Occident aura consisté, précisément, à opérer cette incorporation totale, dans le social, des fonctions traditionnellement allouées au religieux.

Le « désenchantement du monde », version Gauchet, ce n’est donc pas seulement l’élimination du magique dans le religieux, c’est bien encore la disparition du religieux en tant qu’espace collectif structurant et autonome.

Il s’agit donc ici de comprendre pourquoi le christianisme aura été, historiquement, la religion de la sortie de la religion. L’enjeu de cette histoire politique de la religion : comprendre, au-delà des naïvetés laïcardes, quelles fonctions la religion tenait dans les sociétés traditionnelles, et donc si d’autres moyens permettront de les maintenir.

 

*

Commençons par résumer « l’histoire politique de la religion », vue par Marcel Gauchet. C’est, après tout, pratiquement devenu un classique – un des très rares grands textes produits par la pensée française de la fin du XX° siècle.

Le fait est que jusqu’ici, le religieux a existé dans toutes les sociétés, à toutes les époques connues. Qu’il ait tenu une fonction dans chaque société, à chaque époque, n’est guère douteux. Une première question est de savoir si cette fonction fut constamment la même, et, dans le cas contraire, comment elle a évolué.

Pour Gauchet, il faut mettre à jour une structure anthropologique sous-jacente dont le religieux fut l’armature visible à un certain stade du développement historique. Cette structure fondamentale, c’est ce qu’il appelle : « L’homme contre lui-même ». Il entend par là la codification par l’homme d’un espace mental organisé autour du refus de la nature (celle du sujet, celle des autres hommes, celle de l’univers), afin de rendre possible un contrepoids salvateur, le « refus du refus » (qui permet d’accepter les autres hommes au nom du refus du sujet auto référant, d’accepter le sujet au nom de son refus, et finalement d’accepter la nature de l’univers au nom du refus général appliqué à la possibilité de la refuser). Le religieux a été, pour Marcel Gauchet, la forme prise, à un certain moment de l’histoire de l’humanité, par une nécessité incontournable induite par la capacité de refus propre à l’esprit humain : l’organisation du refus du refus, de la négation de la négation – bref, du ressort de la pensée même.

Gauchet renverse ici la conception classique, qui voit dans la religion un obstacle à la perspective historique. Faux, dit-il : la religion a eu pour mission de rendre possible l’entrée de l’humanité dans l’histoire, précisément en organisant une entrée « à reculons ». L’humanité ne voulait pas, n’a jamais voulu être historique. L’historicité lui enseigne une mortalité qu’elle redoute, qu’elle abhorre. La religion, en organisant le refus dans l’ordre symbolique, a été la ruse par laquelle l’humanité, tournant le dos à son avenir, pouvait aller vers lui sans le voir. Une méthode de gestion psychologique collective, en somme : en refusant dans l’ordre symbolique, on rend possible l’acceptation muette du mouvement permanent qu’on opère, par ailleurs, dans l’ordre réel, à un rythme si lent qu’on peut maintenir l’illusion d’une relative stabilité.

Sous cet angle, la « progression du religieux » peut être vue comme son oblitération progressive, au fur et à mesure que l’humanité accepte de regarder en face son inscription dans l’histoire, et d’assumer, donc, son refus de la nature. Des religions primitives au christianisme, on assiste ainsi à une lente réappropriation du fondement du religieux par l’homme, jusqu’à ce que « Dieu se fasse homme ».

C’est un long trajet car, au départ, dans la religion primitive, les Dieux sont radicalement étrangers à l’homme. Leur puissance le surpasse infiniment. Les succès humains ne peuvent être dus qu’à la faveur divine, les échecs à la colère (forcément juste) des divinités offensées. Voilà toute la religion primitive. Elle est étroitement associée à un système politique de chefferie, où l’opposition pouvoir-société est neutralisée par l’insignifiance (réelle) du premier, rendue possible par l’insignifiance (volontairement exagérée) de la seconde. La création d’une instance symbolique de régulation au-delà de la compétence humaine a d’abord été, pendant des millénaires, une manière de limiter la compétence des régulateurs humains. Le holisme fondamental des sociétés religieuses, nous dit Gauchet, ne doit pas être vu comme le contraire de notre individualisme, mais comme une autre manière de penser le social : un social qui n’était pas, et n’avait pas besoin d’être, un « social-historique ». C’était un social « non historique », où la Règle était immuable, étrangère au monde humain, impossible à contester.

Cette altérité du fondement de la règle, propre aux religions des sociétés primitives, est, pour Gauchet, « le religieux à l’état pur ». En ce sens, l’émergence progressive des « grandes religions » ne doit pas être pensée comme un approfondissement, un enrichissement du religieux, mais au contraire comme sa déconstruction : plus la religion va entrer dans l’histoire, moins elle sera extérieure au social-historique, et moins, au fond, elle sera religieuse.

Cette remise en cause du religieux s’est faite par étapes.

D’abord, il y eut l’émergence de l’Etat. En créant une instance de régulation mondaine susceptible de se réformer, elle a rendu possible le questionnement de la régulation. Il a donc fallu codifier un processus de mise en mouvement de « l’avant » créateur de règles. Les dieux se sont mis à bouger ; jusque là, ils vivaient hors du temps, et soudain, ils ont été inscrits dans une succession d’évènements. L’intemporel s’est doté de sa temporalité propre. Enjeu : définir, par la mythologie, une grille de cautionnement de la domination politique, ancrée dans un récit fondateur. La hiérarchie des dieux impose la hiérarchie des hommes à travers la subordination des hommes aux dieux, subordination rendue possible par le début de l’effacement de la magie (où le magicien maîtrise les forces surnaturelles) et l’affirmation du cultuel (où le prêtre sert des forces qui le dépassent). Le processus de domination mentale (des prêtres par les dieux, des hommes par les prêtres) devient ainsi l’auxiliaire du processus d’assimilation/englobement par l’Etat, donc de la conquête. Ce processus s’est accompli progressivement, en gros entre -800 et -200, dans toute l’Eurasie.

Le contrecoup de ce mécanisme, inéluctablement, fut le tout début de l’émergence de l’individu. Le pôle étatique définit un universel ; dès lors, le particulier devient pensable non par opposition aux autres particuliers, mais par opposition à l’universel. L’individu commence alors  à être perçu comme une intériorité. Et du coup, l’Autre lui-même est perçu dans son intériorité.

D’où, encore, l’invention de  l’Outre-Monde. Pour un primitif, le surnaturel fait partie du monde. Il n’existe pas de rupture entre le naturel et le surnaturel, entre l’immanent et le transcendant. Au fond, il n’existe pas d’opposition esprit/matière : tout est esprit, ou tout est matière, ou plutôt tout est esprit-matière, « souffle ».

Et d’où, enfin, le mouvement interne du christianisme occidental.

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Progressivement, dans le christianisme, la dynamique religieuse se déplace pour s’installer à l’intérieur de l’individu. Le temps collectif étant historique, le temps religieux devient le temps individuel. Ce déplacement de la dynamique religieuse est, pour Gauchet, le mouvement interne spécifique du christianisme occidental.

Les autres mondes sont restés longtemps bloqués au niveau de la religion-Etat, du temps historique religieux ; seul le monde chrétien, surtout occidental, a totalement abandonné le temps collectif à l’Histoire, pour offrir à la religion un terrain de compensation, le temps individuel. Gauchet écrit : « Avec le même substrat théologique qui a porté l’avènement de l’univers capitaliste-rationnel-démocratique, la civilisation chrétienne eût pu rejoindre la torpeur et les lenteurs de l’Orient. Il eût suffi centralement d’une chose pour laquelle toutes les conditions étaient réunies : la re-hiérarchisation du principe dé-hiérarchisant inscrit dans la division christique du divin et de l’humain. »

Il n’en est pas allé ainsi. L’Occident est devenu une exception, et sa dynamique religieuse est allée jusqu’à son terme.

Il en est découlé, dans notre civilisation et au départ seulement dans notre civilisation, un accroissement des ambitions et de l’Histoire, et de la religion.

Jusque là, les deux termes étaient limités l’un par l’autre. De leur séparation découle la disparition de leurs limitations. L’Histoire peut théoriquement se prolonger jusqu’à sa fin. Elle a cessé d’être cyclique. La religion, de son côté, peut poursuivre la réunification de l’Etre à l’intérieur de la conscience humaine.

L’adossement de ces deux termes ouvre la porte à une conception du monde nouvelle, dans laquelle l’homme est son co-rédempteur, à travers la Foi (qui élève son esprit jusqu’à l’intelligence divine) et les œuvres (qui le font participer d’une révélation, à travers l’Histoire). Seul le christianisme, explique Gauchet, a défini cette architecture spécifique – et plus particulièrement le christianisme occidental.

Progressivement, à travers le premier millénaire, d’abord très lentement, le christianisme élabore cette architecture. Avec la réforme grégorienne et, ensuite, l’émergence des Etats français et anglais, l’Occident commence à en déduire des conclusions révolutionnaires mais logiques. Le pouvoir politique et le pouvoir spirituel se distinguent de plus en plus clairement.  La grandeur divine accessible par la conscience devient étrangère à la hiérarchie temporelle, elle lui échappe et fonde un ordre autonomisé à l’égard du politique. En retour, le politique se conçoit de plus en plus comme un produit de l’immanence. Le souverain, jadis pont entre le ciel et la terre, devient la personne symbolique d’une souveraineté collective, issue des réalités matérielles et consacrée avant tout à leur administration. Avec la Réforme, l’évolution est parachevée : l’Etat et l’Eglise sont non seulement distincts, mais progressivement séparés.

Les catégories de la « sortie de la religion », c'est-à-dire le social-historique dans le temps collectif, le libre examen dans le temps individuel, sont issues directement de cette évolution. Ici réside sans doute un des plus importants enseignements de Gauchet, une idée qui prend à revers toute la critique classique en France : notre moderne appréhension du monde en termes de nécessité objective n’est pas antagoniste de la conception chrétienne de l’absolu-divin personnel : au contraire, elle en est un pur produit.

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La conclusion de Gauchet est que la « sortie de la religion » ouvre la porte non à une disparition du religieux, mais à sa réduction au temps individuel (une évolution particulièrement nette aux USA, où la religion est surpuissante comme force modelant les individus, mais quasi-inexistante comme puissance sociale réelle). Et d’ajouter qu’avec l’émergence puis la dissolution des idéologies, nous avons tout simplement assisté à la fin des religions collectives, qui sont d’abord retombées dans le temps historique à travers la politique, et s’y sont abîmées définitivement.

Sous-entendu : voici venir un temps où il va falloir se débrouiller sans la moindre religion collective, et faire avec, dans un cadre en quelque sorte purement structuraliste, en nous résignant à être des sujets, sans opium sacral pour atténuer la douleur de nos désirs. Car c’est à peu près là, au fond, la seule fonction du religieux qui, aux yeux de Gauchet, ne peut pas être assurée par le social radicalement exempt de la religion.

En quoi, à notre avis, Gauchet se trompe…

L’expulsion du religieux, retiré totalement du temps collectif, implique que ce temps-là, le temps collectif, ne peut plus être pensé en fonction de la moindre ligne de fuite. S’il n’y a plus du tout de religieux dans le temps collectif, alors la mort des générations en marque les bornes. Et donc, il n’y a plus de pensée collective sur le long terme, au-delà de la génération qui programme, qui dirige, qui décide (aujourd’hui : la génération du baby-boom).

Eh bien, n’en déplaise à Marcel Gauchet et sans nier que le structuralisme soit une idée à creuser, il nous semble, quant à nous, que les ennuis de l’Occident commencent là, dans cette désorientation  du temps collectif. Tant que le religieux se retirait du temps collectif, il continuait à l’imprégner d’une représentation du très long terme, et aspirait en quelque sorte le politique vers cette représentation : ce fut la formule de pensée qui assura l’expansion de l’Occident, le retrait du religieux ouvrant un espace de développement accru au politique, à l’économique, au scientifique, tous lancés secrètement à la poursuite du religieux qui s’éloignait. MAIS à partir du moment où le religieux s’est retiré, l’espace qu’il abandonne est déstructuré, et il n’y a plus de ligne de fuite pour construire une représentation à long terme.

La dynamique spirituelle de la chrétienté occidentale a suscité des forces énormes aussi longtemps qu’elle était mouvement ; dès l’instant où elle parvient à son aboutissement, elle débouche sur une anomie complète. Oserons-nous confesser que le vague « structuralisme » de Gauchet, conclusion mollassonne d’un exposé par ailleurs remarquable, nous apparaît, à la réflexion, comme une posture de fuite, et une manière pour lui de ne pas tirer les conclusions logiques de sa propre, brillante et tout à fait involontaire enquête sur la décadence occidentale ?

mercredi 16 février 2011

Alain Cotta : " Nulle part aujourd’hui il n'existe de démocratie directe, pas plus que représentative."

Rencontres - Les intervenants externes

leregnedesoligarchiesAlain Cotta, grand pourfendeur de l'euro devant l'Eternel, sort un nouvel ouvrage Le règne des oligarchies (éditions Plon).

Il accorde un bref entretien à Scripto sur ce sujet fondamental.

Entretien réalisé par Maurice Gendre

1- Pouvez-vous nommer les principales oligarchies qui dominent le monde ?

L’oligarchie des USA, celle de la Chine et, en 3ème rang le Royaume Uni.

2- Où ces oligarques se réunissent-ils, où vivent-ils ? Où sont situés les épicentres de leur pouvoir ?

L’oligarchie est un groupe d’individus dont les lieux de réunion varient en fonction de leur situation économique et sociale ainsi que les circonstances auxquelles ils doivent faire face. Comme il s’agit d’un ensemble d’individus tenant de la meute de loups ou du nuage d’étourneaux il ne possède pas de chef attitré pas plus que d’épicentre fixe.

3- Des ponts existent-ils entre ces différentes oligarchies, comment cela se traduit-il ?

Entre ces différentes oligarchies il existe plusieurs ponts, d’abord ceux qui concernent les membres ayant même profession. Les militaires de toutes nations communiquent ensemble à travers leurs exercices de stimulation guerrière et leurs écoles de formation. Les dirigeants des grandes entreprises se rencontrent de façon officielle et officieuse ce qui constitue la vie organisée des oligopoles mondiaux des grands produits et des matières premières. Les politiques se rencontrent lors des réunions, elles aussi, officielles G6, 8, G20 et plus secrètes. Quant aux super riches, ils ont leurs lieux de rencontre bien connus, Davos, Saint Barth et autres lieux de villégiature agréables. Entre ces quatre ponts plusieurs passerelles, de l’appartenance à ces réseaux organisés (Opus Dei, franc-maçonnerie, services secrets).

4- En parallèle, des tensions et des dissensions semblent de plus en plus se faire jour entre elles, quelles formes et quelles tournures peuvent prendre ces désaccords ?

Les tensions et dissensions sont intimement liées à l’affrontement des pouvoirs nationaux qui eux-mêmes constituent désormais la vie d’une espèce humaine mondialisée. Des accords et désaccords traversent la géo-politique purement nationale. Toutes les grandes entreprises quelque soit leur appartenance nationale ont en commun leur volonté d’accroître leur réactivité et leur pouvoir ; les politiques d’affirmer l’autorité des nations qu’ils représentent, et les super riches de vivre le plus tranquillement possible. A tout cela il faut ajouter l’importance que représente pour de nombreuses personnes leur appartenance à des religions qui ne sont pas toujours tentées par l’œcuménisme.

5- Y a-t-il un voire plusieurs points communs fondamentaux entre ces différentes oligarchies, à tel point que l'on puisse dire que ces oligarchies forment l'Oligarchie ?

Les différents points d’accords entre certaines oligarchies nationales et les éléments communs à chacune d’entre elles (dirigeants d’entreprise, politiques…) ne sont pas tels que l’ont puisse parler d’oligarchie mondiale. Ce qui n’empêche point de pouvoir imaginer qu’elle existera un jour et de s’interroger aujourd’hui sur les modalités de sa formation et peut-être même de considérer que cette naissance constitue la raison d’être de la mondialisation.

6- Sur quelles armes s'appuient ces oligarchies pour asseoir leur domination sur le monde ?

Essentiellement sur l’arme économique et militaire, qui avec l’argent et le sexe constitue l’une des trois forces structurantes de l’espèce humaine.

7- Comment ces oligarchies se protègent-elles de la vindicte des peuples ?

Elles disposent de plusieurs moyens de protection : la réussite économique, la corruption et les moyens de détourner de l’attention des masses, désormais très efficaces : Internet, Twitter, facebook et plus généralement tous les médias de communication. Ajoutons que la complexité croissante des problèmes posés aux différentes collectivités nationales écarte naturellement la participation d’un très grand nombre d’individus à cause soit de leur incompétence, soit de leur indifférence à l’égard de solution qui ont peu d’influence sur leur vie quotidienne.

8- Tout processus de changement, en apparence assuré par le peuple et d'inspiration démocratique, est-il condamné à n'être en réalité que le cache-sexe des intérêts d'une faction de l'Oligarchie contre une autre faction de cette même Oligarchie à un moment donné de l'Histoire ? Pour dire les choses plus brutalement : un soulèvement populaire a-t-il la possibilité de ne pas être téléguidé par des puissances extérieures et/ou supérieures ?

Les processus de changements d’inspiration démocratiques  ne peuvent aujourd’hui dissimuler leur rôle effectif. Nulle part aujourd’hui il n'existe de démocratie directe, pas plus que représentative. Partout où le pouvoir est exercé par des oligarchies qui ne sont pas représentatives, mais qui reçoivent en fait une délégation de pouvoir. L’évolution de toutes les techniques et la mondialisation de l’espace installent désormais les oligarchies comme le pouvoir dirigeant de toutes les organisations humaines : nation, famille, entreprise et religion.

L’inspiration démocratique a deux fondements. Le premier purement psychologique s’explique en ce que tout individu préfère croire qu’il est en démocratie plutôt que d’être lucide (« blessure la plus rapprochée du soleil » selon René Char) sur sa dépendance à l’égard d’une oligarchie. La seconde, plus sérieuse, consiste à invoquer la démocratie pour se prémunir des oligarchies attirées par un pouvoir personnel, proche des dictatures de fait, ainsi que le montre les mouvements actuels dans les pays arabes. En cette occurrence il s’agira, à notre avis, beaucoup plus d’un changement d’oligarchie que d’un quelconque établissement de la démocratie.

9- Quelles sont les plus graves menaces que ces oligarchies font peser sur le monde ? Comment s'en prémunir ?

L’oligarchie est devenu le mode naturel et général de l’exercice du pouvoir. Elle ne constitue pas d’autres menaces que celles tenant à l’usage exorbitant de son pouvoir.

Propos recueillis par Maurice Gendre

vendredi 14 janvier 2011

Manifeste d'économistes atterrés (collectif)

Notes sur oeuvres - Economie
reticule

Quatre économistes (Philippe Askenazi, Thomas Coutrot, André Orléan, Henri Sterdyniak) ont lancé récemment un « manifeste d’économistes atterrés » (c'est-à-dire atterrés par la manière dont la crise actuelle est gérée). Ces économistes sont, pour simplifier, inscrits dans le prolongement de la mouvance ATTAC, au sens large. Ils ont été rejoints depuis par plusieurs centaines de signataires, parmi lesquels on peut noter André-Jacques Holbecq et Loïc Wacquant.

Il peut être intéressant de connaître sommairement leur analyse de la crise actuelle (analyse qui n’étonnera personne sur ce blog), et surtout de relever les propositions qu’ils font pour en sortir. Nous ne commenterons pas : à chacun de se faire son opinion.

 

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Pour les « économistes atterrés », la crise n’a pas affaibli l’hégémonie des schémas de pensée dominants. Le pouvoir de la finance n’a donc pas été remis en cause, alors qu’il est à l’origine du désastre. Au contraire : les Etats se font les auxiliaires des financiers, et pour les sauver de la faillite, se mettent eux-mêmes en péril.

Dans ce contexte, les « économistes atterrés » veulent en finir avec la dictature des dogmes néolibéraux – et ils sont persuadés de ne pas être les seuls. Ils proposent donc, dans un court manifeste, de réfuter les 10 fausses évidences pour eux principalement à l’origine de la mauvaise gestion actuelle, et vont avancer 22 mesures, à discuter, mais selon eux de nature à porter remède.

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Fausse évidence numéro 1 : les marchés financiers seraient efficients sur le plan informationnel, et donc sur le plan décisionnel, favorisant l’allocation du capital la plus réactive et la plus judicieuse.

C’est, nous disent les « « économistes atterrés », le dogme que veut sauver le G20. Or, la crise a démontré, à l’inverse, que les marchés ne sont pas efficients. L’information économique y est synthétisée dans les prix. L’évolution récente montre que le prix défini par le marché n’a pas été signifiant au regard de l’économie réelle et sur un horizon pluriannuel : il résultait souvent d’illusions collectives, voire de manipulations. La cause fondamentale en est que, sur les marchés financiers, la loi de l’offre et de la demande ne fonctionne plus, car quand le prix augmente, la demande augmente aussi (spéculation par anticipation de hausse). Ce mécanisme implique qu’un marché financier dérégulé est en quelque sorte un cerveau collectif autiste, déconnecté du réel et structurellement paraphrénique. Le marché financier est donc une source d’instabilité et une machine à prendre les mauvaises décisions.

Mesures proposées :

Cloisonner strictement les marchés financiers et les activités des acteurs financiers (Glass Steagal)

Réduire la spéculation dévastatrice par une taxe et des contrôles sur les mouvements de capitaux

Exclure les acteurs illégitimes des activités financières (CDS, en particulier)

Plafonner la rémunération des traders

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Fausse évidence numéro 2 : les marchés financiers seraient favorables à la croissance économique.

C’était l’un des moteurs du néolibéralisme : sortir du capitalisme rhénan, et imposer le capitalisme anglo-saxon, avec financement de l’activité non par la banque, mais par les marchés. Mais aujourd’hui, de fait, le projet s’est retourné contre lui-même : ce ne sont pas les actionnaires qui financent les entreprises via l’épargne, mais les entreprises qui financent leurs actionnaires, lesquels n’épargnent plus et empruntent toujours plus. Au final, le pouvoir des banques n’a jamais été aussi grand.

Concrètement, il en découle que « les marchés » exigent des normes de rendement déconnectées des réalités économiques. La notion d’intérêt commun associant actionnaires, encadrement et personnel a totalement disparu. Les dirigeants n’ont plus pour objectif que de satisfaire aux exigences de rendement à court terme formulées par les actionnaires, ou plutôt par leurs représentants, fonds de pension, fonds d’investissement, banques. Il en découle une gestion court-termiste antiéconomique, un assèchement progressif de la demande solvable (par déflation salariale) et une volatilité extrême du capital, qui circule à une vitesse supérieure à celle qui autoriserait l’anticipation par les acteurs économiques, y compris les Etats.

Mesures proposées :

Renforcer les contre-pouvoirs dans les entreprises

Accroître l’imposition des très hauts revenus

Réduire la dépendance des entreprises envers les marchés financiers en développant une politique publique de financement aux entreprises

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Fausse évidence numéro 3 : les marchés seraient bons juges de la solvabilité des Etats.

C’est faux, pour la raison mentionnée ci-avant : le marché, d’une manière générale, n’est pas efficace pour fixer la valeur des actifs. Mais hélas, c’est une fausseté auto-réalisatrice, parce que l’appréciation, conditionnée par les agences de notation, modifie l’objet évalué : si les marchés réputent un Etat proche du défaut, les intérêts augmentent, donc la dette, donc le risque de défaut.

Mesures proposées :

Règlementer l’activité des agences de notation

Garantir le rachat des titres publics par la BCE

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Fausse évidence numéro 4 : l’envolée des dettes publiques résulterait d’un excès de dépenses.

Nos « économistes atterrés » constatent, au contraire, que le poids de la dépense publique dans le PIB a tendance à baisser dans l’UE depuis le début des années 90, et que, donc, il ne saurait être question d’une envolée des dépenses. La cause de notre dette insoutenable est, disent-ils, dans la « révolution fiscale » qui a, depuis deux décennies, continuellement favorisé les très gros contribuables, et coûté très cher aux Etats. Rien que pour la France, entre 2000 et 2010, les baisses d’impôt auraient coûté à l’Etat 100 milliards d’euros, compte non tenu de 30 milliards d’exonération de cotisations sociales. Depuis 2008 s’est ajouté un facteur aggravant : les « plans de sauvetage » bancaires, qui ont coûté environ 7 points de PIB aux Etats, et alourdi d’autant leur dette.

Mesure proposée :

Réaliser un audit public et « citoyen » des dettes publiques, pour déterminer leur origine et connaître l’identité des principaux détenteurs de titres (une mesure qui, de toute évidence, prépare un défaut de paiement ciblé)

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Fausse évidence numéro 5 : il faudrait réduire les dépenses pour réduire la dette publique.

Erreur, répondent les « économistes atterrés » : une réduction des dépenses impliquerait une faible croissance (austérité), donc une croissance plus faible que les intérêts de la dette, donc un accroissement de la dette par effet « boule de neige ». Et les commentateurs qui opposent à cette équation le cas de quelques pays ayant mené des politiques de restructuration brutale (Suède en particulier, dans les années 90), pour en tirer ensuite un grand profit dans les années 2000, oublient que ce type de politique ne peut valoir que pour un pays isolé, qui peut gagner des parts de marché à l’export en renforçant sa compétitivité. A l’inverse, si tout le monde s’y met, la déflation salariale générale est garantie, et pour tout le monde encore (parce que le marché global se rétractera).

Mesure proposée :

Maintenir le niveau de protection sociale, voire l’améliorer

Accroître l’effort budgétaire pour l’éducation, la recherche, l’investissement dans la reconversion écologique… pour mettre en place les conditions d’une croissance soutenable

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Fausse évidence numéro 6 : la dette publique reporterait le prix de nos excès sur nos petits-enfants.

Faux : comme la dette publique est essentiellement liée à la « révolution  fiscale » reaganienne, elle traduit surtout un transfert de charge entre les riches (rentiers) et les pauvres (producteurs). Bref, c’est une confiscation accrue de la plus-value par les capitalistes.

Mesures proposées :

Revenir à une fiscalité redistributive (suppression des niches fiscales, création de nouvelles tranches d’imposition et augmentation des taux)

Supprimer les exonérations consenties aux entreprises sans effets suffisants sur l’emploi

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Fausse évidence numéro 7 : il faudrait rassurer les marchés financiers pour financer la dette publique.

Faux : pour financer la dette publique, il faut pouvoir se passer des marchés financiers. Tout simplement parce que, de toute façon, ils ne sont pas efficaces dans leur pilotage des flux de capitaux (cf. supra).

Mesures proposées :

Autoriser la BCE à financer directement les Etats (ce qui équivaut à un retour au système antérieur à 1973, mais au niveau européen)

Si nécessaire, restructurer les dettes publiques, par exemple en plafonnant le service de la dette à un certain pourcentage du PIB, et en opérant une discrimination entre les créanciers selon leur profil (les « gros » peuvent et doivent consentir un allongement des remboursements, voire une annulation pure et simple)

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Fausse évidence numéro 8 : L’Union Européenne défendrait le modèle social européen

Faux, une fois de plus : en réalité, les sociaux-démocrates ont depuis longtemps capitulé devant les néolibéraux, et ils ne sont plus que la caution « de gauche » d’une Europe bruxelloise totalement inféodée aux intérêts du capital spéculatif prédateur. L’organisation de la BCE (indépendante à l’égard du pouvoir politique, gardienne du pacte de stabilité) dénote une méfiance à l’égard des Etats-nations, méfiance qui ne peut se comprendre que du point de vue du capital transnational.

L’Europe sociale est donc restée un vain mot, tandis que s’épanouissait celle de la concurrence (fiscale, en particulier). En l’occurrence, la concurrence à l’intérieur de l’Union est justifiée optiquement par la nécessité de se muscler pour faire face à la concurrence extérieure, mais jusqu’où faut-il suivre cette logique ? Jusqu’au suicide pur et simple, sachant qu’on ne peut pas lutter à armes égales avec des pays extra-européens au droit social inexistant ?

Mesures proposées :

Remettre en cause la libre circulation des capitaux et des marchandises (pas de mention des mains d’œuvre) entre l’Europe et le reste du monde

Faire de « l’harmonisation dans le progrès » le fil directeur de la construction européenne, avec des objectifs communs contraignants en matière d’harmonisation  du droit social  par le haut

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Fausse évidence numéro 9 : L’Euro serait un bouclier contre la crise.

L’euro a surtout profité au patronat allemand, qui, en traitant très durement ses salariés, a fabriqué une machine exportatrice capable de rafler des parts de marché croissantes en Europe, pesant ainsi sur la croissance du reste du continent. Par ailleurs, depuis la crise, la gestion de la BCE est exagérément malthusienne ; à l’inverse de la FED, elle n’a pas suffisamment soutenu l’économie par une souplesse monétaire accrue. Les USA ont financé, depuis 2007, 4,2 % de PIB par la création monétaire, contre 1,6 % pour la zone euro, et 3,2 % pour le Royaume-Uni (la question du caractère durable et sain de ce PIB sous perfusion monétaire n’est pas abordée). Donc, la politique de la BCE ne laisse que l’austérité comme méthode d’ajustement aux Etats.

Mesures proposées :

Assurer une véritable coordination des politiques économiques en Europe

Compenser les déséquilibres de paiement en Europe par une Banque de règlements (organisant des prêts entre pays européens)

Si la crise de l’euro mène à son éclatement, établir un régime monétaire européen autour d’une monnaie européenne de type bancor (monnaie commune mais pas unique), organisant la résorption des déficits commerciaux au sein de l’Europe via les taux de change des monnaies nationales avec l’euro-bancor

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Fausse évidence numéro 10 : La crise grecque aurait permis de faire avancer l’Europe vers un vrai gouvernement économique.

Faux, archi-faux. En réalité, il aurait été logique que les pays du nord de l’Europe lancent des politiques expansionnistes en vue de rééquilibrer un marché qui va perdre en taille du fait des politiques restrictives mises en place en Grèce, en Irlande, au Portugal (austérité). Mais au contraire, le système de concurrence intra-européenne fait que les pays du nord vont être poussés à plus d’austérité, pour maintenir leur avantage compétitif sur le sud.

En somme, l’Europe n’est plus qu’une machine à mettre les européens en concurrence, pour le malheur des peuples et le bonheur des spéculateurs. Facteur aggravant, certains néolibéraux veulent profiter de la situation (stratégie du choc) pour radicaliser encore l’agenda néolibéral – comme si, pour soigner un blessé qui perd du sang, on le saignait…

Mesures proposées :

Développer une fiscalité européenne et un véritable budget européen, pour couper court au phénomène de concurrence entre Etats européens et assurer une homogénéisation progressive des conditions sociales sur le continent.

Lancer un vaste plan de développement européen financé soit par souscription publique, soit par création monétaire de la BCE, pour engager la reconversion écologique de l’économie européenne.

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Conclusion des « économistes atterrés »

Ces réformes, qui changent radicalement le sens et la portée de l’Union Européenne, ne pourront évidemment pas être conduites à 27. Il faut en déduire que nous devrons, pour sortir de la crise, procéder à une refondation européenne, c'est-à-dire à une refondation de la construction européenne.

Une telle démarche ne pourra être conduite qu’avec une partie des pays européens… et ouvre donc la voie à une dislocation de facto de l’actuelle Union Européenne. L’enjeu du débat, aux yeux des « économistes atterrés », est de jeter rapidement les grandes lignes de la reconstruction, pour qu’après la dislocation de l’Europe néolibérale soumise aux marchés, la nouvelle Europe, définie contre les marchés, puisse émerger tout aussi rapidement.

La conclusion se limite à ce constat général. Ne sont abordées ni la question du périmètre de la future Europe (plus grande, plus petite, avec ou sans la Russie ?), ni la question du rapport de force géostratégique avec l’anglosphère, ni la question du degré d’autonomie politique des nations à l’intérieur du futur ensemble. Il s’agit donc clairement d’un point économiste « pur », sans mise en relation avec les questions extérieures à l’économie.


nouvel ordre mondial

mercredi 5 janvier 2011

Eloge de la frontière - Régis Debray




Notes sur oeuvres - Philosophie
 

Pour Régis Debray, si l’humanité contemporaine se plaît à s’imaginer qu’elle irait mieux sans frontières, c’est parce qu’elle va mal et ne sait comment guérir. Et si l’Europe est en pointe dans ce mouvement, c’est parce qu’on y va, dans l’ensemble, encore plus mal qu’ailleurs.
Le culte du « sans frontière » n’exprime, pour Debray, que l’angoisse de vivre – angoisse d’être un être, c'est-à-dire d’avoir des limites, des frontières, des bornes, pour marquer ce que l’on est et ce que l’on n’est pas. Le culte du « sans frontière », nous dit Régis Debray, exprime un désir d’anéantissement. Et la propagande bruxelloise, qui nous vante la « civilisation » rendue possible par l’unité, ne recouvre que l’effacement du distinct, de ce qui est enclos – et donc de la cité, et donc de la civilisation.

De toute manière, fait encore observer Debray, la réalité du monde contemporain, c’est la multiplication des frontières. Depuis 1991 et la chute de l’URSS, on en a tracé 27.000 kilomètres supplémentaires. Une fois de plus, les esprits à la mode ont une mode de retard. Pendant qu’ils nous chantent le « trans », « l’open », le « light » imprécis et flou, les vieilles fractures se réveillent, partout. Et le mode de gestion qui leur convient n’est pas la dénégation, mais au contraire la codification, l’inscription dans le signe, dans l’écrit, sur la carte. On nous dit que le monde s’unifie, c’est faux : il éclate. On nous dit qu’il faut moins de frontières pour surmonter des fractures dépassées, c’est encore plus faux : ce sont les frontières qui permettront de rendre les fractures vivables, alors qu’elles ne cessent de prouver qu’elles sont tout, sauf dépassées.
Voilà la thèse.



*
L’argumentaire, à l’appui de cette thèse, est très simple. Debray le développe longuement, de manière quasiment poétique, mais on peut le résumer en quelques paragraphes.
Tracer une frontière, explique Debray, est la condition sine qua non pour disposer d’un espace à organiser, donc pour rendre possible une organisation, quelle qu’elle soit. La séparation est la mère des êtres, et sans êtres distincts, il n’y a pas de cosmos à organiser. Le « cosmopolite » même n’est possible que parce qu’il existe des « polis » distinctes, dont les interactions forment le cosmos. Si l’univers entier était un tout non fragmenté, ni cosmopolitisme, ni esprit de clocher ne pourraient être, car ils ne pourraient être par opposition l’un à l’autre. Sans frontières, la pensée même devient impossible, parce qu’il n’est plus envisageable de créer des oppositions.
Une fois la frontière tracée, on fois qu’on sait qui est à l’intérieur et qui n’y est pas, on peut organiser l’espace circonscrit. C’est parce que cet espace est circonscrit qu’il peut être organisé, c’est à dire devenir un tout organique. C’est pourquoi la frontière présente toujours un caractère sacré : elle est à la racine du Vivant. C’est aussi pourquoi on crée des frontières à l’intérieur de la frontière : ces frontières internes permettent de créer des espaces de sacralité hiérarchisée. La limite, la séparation, la frontière est la mère de l’être, toujours. La peau est le premier organe reconnaissable dans l’ontogénèse des organismes multicellulaire, et ce n’est pas un hasard. Sans régulation entre lui et son environnement, un être ne peut organiser. Sans membranes internes, un organisme ne peut réguler son fonctionnement.

Après plusieurs décennies de fantasmes sur le « monde sans frontière », nous revenons, aujourd’hui, à ces vérités premières.
Pourquoi ? D’abord parce que l’économie hors sol est en train d’imploser, elle qui était, au fond, la tentative de matérialisation du fantasme « sans frontières ». Le hors sol était en effet le seul espace pouvant ignorer la frontière, puisque tout y est flux. Eh bien, c’est fini : la réduction de l’organique au systémique, via la confusion entre flux et échange, entre connexion et connivence, entre information et sens, vient de démontrer qu’elle ne pouvait durer. Le néant ne peut durablement mimer l’être.
Le contre-choc menace, même, d’aller au-delà de la réhabilitation de la frontière : il pourrait s’agir d’une épidémie de murs. Le réseau à la place de la cité, le flux à la place du site, tout cela finit par déstabiliser, par brutaliser les êtres humains – à qui l’on invente une habitation inhabitable. Du coup, l’envie de murs a progressé, au fur et à mesure que l’on empêchait la régulation par les frontières. L’ultra-local, voire le repli jusque dans la haine, dans la négation de l’altérité, finissent par apparaître obligatoirement, comme contre-pôle au « sans frontière » invivable. Repli sur l’identité raciale, sociale, culturelle, religieuse, idéologique : peu importe. Repli toujours, paniqué, d’un être humain qu’on a prétendu empêcher d’habiter dans un monde humain, donc limité, borné, encadré.

Quel remède ? D’abord comprendre qu’il faut donner, à chaque être, les moyens de s’évader de lui-même par le haut, à travers une auto-extériorité, quelque chose qui le produit dans un ordre supérieur pour le projeter vers une identité en destin. C’est ce qui fait que les êtres, individuels ou collectifs, peuvent s’accomplir à l’intérieur d’une frontière limitative : la limitation de l’expansion matérielle horizontale n’est rendue supportable que par l’ouverture d’une expansion symbolique verticale.  Alors seulement, on dispose d’êtres prêts à vivre à l’intérieur des frontières, parce qu’ils pourront les respecter : le sacré sera vraiment sacré. Ce sont de tels êtres qui peuvent, ensuite, penser la frontière non comme un mur (à abattre pour s’étendre, à dresser pour se défendre), mais comme une peau, capable de respirer, donc d’organiser des échanges avec le milieu.

Bref, il faut faire exactement le contraire de ce que fait, par exemple, l’Union Européenne. L’UE, c’est la négation de l’évasion par le haut, le refus de fixer les frontières, la non-identité et le non-être. Et ce sera, au bout du compte, si on n’y prend pas garde, le retour des murs, partout, parce que les êtres vont se révolter contre un habitat inhabitable, contre une idéologie sans Idée, contre un espace sans limite donc sans protection, impérialiste donc informe, inorganique donc sur-administré, sans âme donc technicisé, machinal donc mort.
Pour éviter ce désastre, conclut Debray, nous n’avons pas aujourd’hui le droit de tracer des frontières : nous en avons le devoir.

mardi 14 décembre 2010

Gilles Lanneau : "L'affaire Sakineh est sortie tout droit du chapeau occidental

Lundi, 13 Décembre 2010 | Écrit par Maurice Gendre |  
Rencontres - Les intervenants externes

« J'ai écrit ce livre dans l'urgence. Quelques minutes avant l'irréparable. En ce temps où notre monde bascule à toute allure dans un gouffre de non-sens, d'absurdité, où le mal se prend pour le bien et fait porter à celui-ci ses propres tares, j'ose élever une petite voix à contresens. Au tribunal de ce monde aux valeurs inversées, je plaide la cause de l'Axe du Mal, et accuse l'Axe du Bien. »

C'est en ces termes que Gilles Lanneau décrit son ambition et sa volonté de faire triompher la Vérité après la sortie de son ouvrage Iran, le mensonge (Diffusion International Edition).

Ce paysagiste de profession, qui a voyagé en Iran, en Inde et au Pakistan dans le cadre de recherches sur la naissance des grands mythes fondateurs de la culture indo-européenne et sur la survivance dans des régions reculées de traditions s'y rapportant, essaie de briser la propagande mensongère et criminelle qui s'abat sur l'Iran.

Entretien réalisé par Maurice Gendre



Qui fut le vainqueur de l'élection présidentielle en Iran ?

Sans équivoque le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad. J'ai détaillé dans mon ouvrage Iran, le mensonge le déroulement démocratique des élections. Élections supervisées par des "scrutateurs" représentant les quatre candidats; et ensuite la manière dont furent traitées les plaintes déposées par les perdants, des plaintes avant tout destinées à une utilisation par les média étrangers. 

Qui est réellement Mir Hossein Moussavi ? Qui le soutient ?

Le candidat réformateur Mir Hossein Moussavi, ancien premier ministre de la République Islamique d'Iran, a vraisemblablement servi de pion dans la stratégie américano-britannique visant à déstabiliser l'Iran.

J'en profite pour souligner que lesdits réformateurs sont avant tout des partisans du libéralisme économique soutenu par les classes aisées du pays alors que les supposés populistes ou ultra-conservateurs du parti présidentiel prônent et s'efforcent d'appliquer une répartition équitable des revenus du pays.

Que faut-il penser de Rafsandjani ?

Rafsandjani, ancien président de la République et candidat malheureux contre Ahmadinejad à l'avant dernière présidentielle, mais aussi l'un des hommes les plus riches du pays, vieux renard de la politique, pesant de tout son poids en tant que président du Conseil du Discernement sur les affaires du pays, est le moteur réel du mouvement réformateur dont Moussavi n'est que la vitrine « présentable ».

Qui étaient les véritables organisateurs et les soutiens des manifestants ?

Les Etats-Unis bien sûr. Madame Clinton l'a même affirmé publiquement.

L'Angleterre, de façon plus insidieuse mais non moins efficace (je vous renvoie à mon chapitre L'affaire Neda Agha-Soltan). La sale besogne revient aux Moudjahidins du Peuple et autres reliquats malsains de l'après Révolution.

Quels sont les succès économiques et sociaux de Mahmoud Ahmadinejad ?

D'abord, à mon sens, la loi-phare instaurée sous son premier mandat, mal perçue par l'élite cultivée du pays et complètement occultée par les média occidentaux, déclarant chaque citoyen actionnaire de la principale ressource iranienne, le pétrole. D'où la distribution de dividendes chaque année en fonction des bénéfices réalisés.

Viennent ensuite, dans la continuité de ses prédécesseurs : l'autosuffisance nationale en produits alimentaires de base, ce qui n'est pas une mince affaire compte tenu du climat à dominante semi-désertique; un système de sécurité sociale performant, un salaire minimum garanti, et la retraite après 30 ans d'activité professionnelle (25 ans pour les femmes) garantissant 95% du revenu salarial, plus une prime de départ.

Où en est le programme nucléaire iranien?

Le programme nucléaire iranien, civil précisons-le, découle du constat de l'augmentation croissante des besoins énergétiques du pays, due à l'augmentation de la population et à celle du niveau de vie, ainsi que la perspective d'un épuisement des ressources en hydrocarbures estimé à dans dix ans si le rythme de la consommation actuelle se poursuit.

Le nucléaire allié à l'hydroélectrique, à l'éolien et au solaire, fait donc partie des alternatives au « tout hydrocarbure ».

Quant à l'hypothèse du nucléaire militaire, les Iraniens sont parfaitement conscients que l'envoi d'une seule bombe A sur un pays tiers signerait l'anéantissement de leur propre pays.

Que dévoile l'affaire Sakineh ?

Cette affaire Sakineh est sortie tout droit du chapeau occidental au moment même où l'Iran procédait à la mise en service de la centrale nucléaire de Bousher. Une manière d'occulter l'échec des nombreuses tentatives pour faire « capoter » cette réalisation. De retour d'un voyage en Iran, je peux affirmer que l'application de la peine de mort par lapidation en Iran n'est qu'un mensonge supplémentaire à ajouter au dossier volumineux de la désinformation.

La peine capitale (par pendaison), que je désapprouve personnellement, n'est appliquée qu'aux meurtriers sans circonstances atténuantes ainsi qu'aux « gros bonnets » du trafic de la drogue.

Les querelles entre Ahmadinejad, Larijani et le guide suprême Khameney sont-elles aussi fortes qu'on le prétend en Occident ?

Le fait que le pouvoir du pays soit partagé à des degrés divers entre différentes composantes induit forcément quelques tiraillements. Rappelons que la Constitution iranienne a souhaité ces différentes composantes dans le but d'éviter toute tentation autoritariste. Ceci étant dit, la vision politique des trois hommes reste la même sur l'essentiel.

Quelle est l'influence de l'Iran dans les Territoires occupés et au sud-Liban ?

L'Iran aide les Palestiniens et le Hezbollah libanais, c'est indéniable. Une aide financière et matérielle laissant libre les parties de l'utiliser à leur convenance, semble-t-il.

De même que l'Occident vis-à-vis d'Israël ou des régimes africains qui leur conviennent. Mais pourquoi ne parle-t-on pas de même de l'aide similaire que procura l'Iran au commandant Massoud en Afghanistan, ou à l'Arménie chrétienne lors du conflit du Haut-Karabakh.

Quelles sont les factions qui poussent à la guerre ?

Des factions iraniennes ? Aucune à ma connaissance. Seul l'Occident saurait retirer des bénéfices à un conflit qui ne peut - au minimum - que rabaisser une puissance émergente et relancer par la même sa propre machine économique.

Que faut-il craindre pour l'Iran dans les semaines ou les mois qui viennent?

Le pire... ou rien du tout. Les Iraniens dans leur ensemble sont convaincus que ces bruits de bottes ne sont qu'un bluff d'intimidation, et rien de plus, j'ai pu le mesurer lors de mon dernier voyage.

Ont-ils raison? Saddam Hussein a cru la même chose... et s'en est mordu les doigts. Je pense que la plus grande vigilance est de rigueur, ce "pire" pouvant très bien arriver au moment où l'on s'y attend le moins.

L'Iran aura-t-il les moyens en cas d'attaque de riposter et d'infliger de lourdes pertes à ses agresseurs ?

Je n'en sais rien... tout en espérant que l'Iran -si cette malheureuse hypothèse se réalise - nous surprenne agréablement.

Quel est le sort des minorités religieuses en Iran?

J'ai consacré un sous-chapitre à ce sujet. L'Iran, à la suite de la Perse, a une longue tradition de tolérance religieuse.

La première déclaration des droits de l'homme a été dictée au VIème siècle avant notre ère par Cyrus le Grand et aucun tribunal de l'Inquisition n'a jamais sévi dans ce pays. Concrètement, à ce jour, les minorités chrétienne, juive et zoroastrienne sont représentées par cinq députés au Parlement, la liberté de culte est totale, leurs droits civiques sont ceux de tout citoyen du pays et l'éducation peut être reçue aussi bien à l'école publique que dans une école confessionnelle de leur choix.

Propos recueillis par Maurice Gendre

jeudi 9 décembre 2010

Marion Bergeron : "Pôle Emploi maltraite ses usagers comme son personnel"

Mercredi, 08 Décembre 2010 | Écrit par Maurice Gendre |  
Rencontres - Les intervenants externes

L'auteur du pamphlet 183 jours dans la barbarie ordinaire - En CDD chez Pôle Emploi (Plon), Marion Bergeron, répond aux questions de Scriptoblog.

Une description sans concession du nouvel enfer social français.

Entretien réalisé par Maurice Gendre

1) Pouvez-vous expliquer comment vous avez été embauchée au Pôle Emploi ?

En Avril 2009, je suis arrivée au bout de mes indemnités assédic. Je n'avais plus la possibilité de chercher un emploi dans mon secteur : le graphisme. Pôle Emploi faisait la promotion du recrutement de 1840 agents. J'ai envoyé ma candidature comme une bouteille à la mer, sans trop y croire car je n'avais aucune expérience dans ce domaine. J'ai été convoquée pour un entretien très court. Les deux agents que j'ai alors rencontrés m'ont promis une formation qui me permettrait de devenir une vraie professionnelle. Le lendemain, je prenais mon poste dans une agence de la banlieue parisienne. L'équipe sur place n'était pas au courant de mon arrivée et, dès le deuxième jour, je me suis retrouvée seule pour assurer l'accueil, sans formation.

2) Vu de l'extérieur, l'efficacité de la fusion ANPE-ASSEDIC paraissait peu évidente. De plus, avec la hausse du chômage, elle semble être tombée au plus mauvais moment. Comment avez-vous vécu ce rapprochement ANPE-ASSEDIC ?

Je me suis vite rendue compte que Pôle Emploi n'était qu'une chimère de papier, un logo au-dessus des portes. Aucun moyen n'a été donné aux agents pour mettre réellement en place un nouveau service. Les formations n'étaient qu'une mascarade, les équipes étaient divisées et les demandeurs perdus. Pour moi, cette fusion est une catastrophe. Sa seule réalité est géographique, on a effectivement regroupé les agences. Pourtant, derrière, rien n'existe, ni le conseiller unique qui a été abandonné, ni la simplification des démarches qui se sont, au contraire, alourdies d'un niveau de filtrage supplémentaire dans les accueils.
Pour les demandeurs, Pôle Emploi est encore plus opaque et inaccessible. Pour les agents, leurs repères sont malmenés et ils ne savent plus trop en quoi consiste leur métier. Ajoutez à cela un contexte de pénuries d'emplois et l'ambiance devient réellement explosive.

3) Comment sont traités les salariés du Pôle et les demandeurs d'emploi qui y sont reçus ?

Aujourd'hui, Pôle Emploi maltraite ses usagers comme son personnel. En imposant des charges de travail incroyables, en transformant le sous-effectif en mode de fonctionnement normalisé, en vidant le suivi des demandeurs de son sens pour le transformer en simple machine à statistique, Pôle Emploi méprise tout le monde. Les conseillers ne peuvent plus exercer leur travail et les demandeurs ne peuvent plus bénéficier de l'aide dont ils ont besoin. Pôle Emploi est devenu une machine absurde et humiliante. C'est aussi ce que j'ai voulu raconter dans mon livre.

4) Quelles mésaventures ou quelles anecdotes (emblématiques selon vous), jugez-vous a posteriori les plus choquantes ?

Je me souviens d'un homme qui m'a menacée, insultée et physiquement malmenée. J'assurais simplement l'accueil et il avait reçu un avertissement avant radiation. Il ne voulait rien savoir. Il était à bout. Il voulait se venger de cette administration qui le méprisait, qui lui envoyait des courriers qu'il ne comprenait pas et qui ne faisait manifestement aucun cas des difficultés qu'il rencontrait. Ce jour-là, c'est moi qui tenait l'accueil, alors, c'est moi qui ai reçu toute cette violence. Aujourd'hui, je suis incapable de me souvenir de son visage. Pas parce que ma mémoire a choisi de l'oublier, mais simplement parce qu'il n'a pas été le seul, parce que les altercations sont quotidiennes, parce que j'ai fini par travailler dans un climat continuel de peur et de violence.

5) Avez-vous vu des collègues sombrer dans la dépression voire pire durant vos six mois au Pôle Emploi ?

Oui, j'ai vu de nombreux collègues craquer. Des conseillères qui pleurent la veille de leur départ en congé. Des arrêts maladie à répétition. Des agents qui n'arrivent simplement plus, de temps en temps, à venir travailler le matin. Quelques jours après la fin de mon contrat, un de mes collègues a tenté de mettre fin à ses jours. Personne dans l'agence n'a de doute sur l'origine de son malaise : Pôle Emploi. Aujourd'hui, la souffrance des agents est palpable : les arrêts maladies se multiplient.

6) Quel fut l'impact de cette expérience sur votre privée et familiale ?

De mon côté, je n'ai pas mieux résisté à ce cocktail de violence et d'impuissance. Il est difficile de rentrer chez soi, chaque soir, avec le récit d'une nouvelle incivilité, d'une nouvelle absurdité. J'ai fini par ne plus pouvoir dire ce que je vivais. Mon couple n'a pas résisté.
J'ai été plusieurs fois en arrêt maladie. Mon médecin, qui m'avait prescrit des antidépresseurs, a été soulagé lorsque j'ai refusé le CDI proposé par Pôle Emploi. Ce travail était réellement mauvais pour mon équilibre et pour ma santé. Et, la situation dans laquelle je me trouvais n'avait rien d'exceptionnel.

7) Que préconisez-vous pour que le Pôle Emploi sorte de l'ornière ? Existe-t-il une méthode pour permettre un retour à l'emploi dans des conditions dignes et honorables ?

Je pense que c'est le fonctionnement de Pôle Emploi qui est vicié. Ce n'est plus qu'une usine à chiffre dont la seule ambition est de nourrir un logiciel retord afin de fournir des statistiques. Les demandeurs ne sont que des lignes de chiffres à convoquer, à recevoir, à orienter, etc. Et les employés ne sont pas sensé avoir d'état d'âme.

Pour moi, il me parait urgent d'arrêter de traiter tous les demandeurs sur le même mode. C'est un public varié dont les attentes sont très différentes. Ceux qui sont autonomes n'ont absolument pas besoin de nos services. Il faut se concentrer sur la frange de la population la plus fragilisée, celle qui a vraiment besoin d'un accompagnement et revenir aux fondamentaux : rédiger les CV et les lettres de motivations, accompagner pour les entretiens, être réactifs et disponibles, etc.

8) Que comptez-vous faire désormais ? Avez-vous des projets ?

J'ai aujourd'hui repris mes études, une licence de webdesign, grâce à un financement du Fongecif. Je souhaite pouvoir travailler dans mon domaine, en tant que freelance car je suis aujourd'hui vaccinée contre le statut d'employé. J'espère ne plus jamais remettre les pieds chez Pôle Emploi.

Propos recueillis par Maurice Gendre

mardi 30 novembre 2010

Les services secrets chinois - Roger Faligot

http://www.scriptoblog.com/index.php?option=com_content&view=article&id=614:les-services-secrets-chinois-r-faligot&catid=49:geopolitique&Itemid=55

Mardi, 30 Novembre 2010 | Écrit par L'équipe Scripto |  
Notes sur oeuvres - Géopolitique

Un des avantages d’être une colonie de l’Empire OTAN, c’est qu’on peut s’attendre à avoir une information un peu moins mauvaise sur l’Empire Chinois. Un peu moins mauvaise, en tout cas, que si l’on était… chinois.

Ce n’est certes pas demain la veille qu’on verra paraître en France, dans les grandes librairies, un ouvrage aussi approfondi que « Les services secrets chinois », mais consacré, celui-là, par exemple à l’action du MOSSAD en France, ou au verrouillage de l’appareil d’Etat US par les réseaux de la CIA (ne parlons pas de l’action de la DCRI ou de la DGSE).
Et on ne s’en étonnera pas…

Cela dit, ce constat amère n’enlève rien à la nécessité de se documenter. « Les services secrets chinois » de Roger Faligot fait partie de cette rafale de livres qui viennent d’atterrir dans nos librairies pour nous informer que, ô surprise, le véritable adversaire de l’Occident, à l’échelle géostratégique, n’est pas constitué par une bande d’improbables djihadistes explosifs, mais par l’autre superpuissance économique, à savoir la Chine. On fera donc le tri entre ce qui relève de la propagande anti-chinoise et ce qui relève de l’information, on se préoccupera surtout des évènements récents, on zappera l’histoire des services chinois sous Mao, et c’est parti pour une note de lecture !


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En décembre 1989, peu de temps après l’écrasement de Tian Anmen, Deng Xiaoping donne ses consignes à ses successeurs : « observer et analyser froidement, dissimuler nos véritables capacités ». En d’autres  termes : en savoir le plus possible sur l’adversaire ou le partenaire, et faire en sorte que de son côté, il en sache le moins possible. La gestion du renseignement est au cœur de la stratégie chinoise. Ce n’est pas un simple outil de la politique étrangère, c’en est une composante intégrée.

Il faut dire que les services  secrets du PCC sont nés en même temps que lui. La police de la concession française de Shanghai avait débarqué par surprise à la réunion fondatrice du mouvement en 1921. Aussitôt, le PCC, à peine constitué, organisa un service de renseignement pour débusquer le traître qui avait dévoilé aux autorités le lieu de l’évènement. L’enquête du camarade Luo Yinong, formé par les soviétiques, révéla que la police française avait pris en filature quelques envoyés du Komintern, à leur arrivée à Shanghai. Parmi eux, le monde est petit, un jeune Français alors inconnu : Jacques Doriot.

Entre les deux guerres, les services du PCC vont s’étoffer progressivement, dans l’ombre des « résidences » mises en place méthodiquement par la Guépéou soviétique. Tandis que le PCC aide les soviétiques à espionner la Chine en ébullition, ceux-ci fournissent aux jeunes services chinois le support logistique et le réseau pour expédier des agents à l’étranger, pour faire de l’agitation et, en même temps, apprendre. Parmi ces expatriés, on relève un jeune « Hakka », c'est-à-dire le ressortissant d’une minorité ethnique au sein de l’Empire Chinois. Il est affecté à Paris, où il infiltre la Diaspora chinoise pour le compte de ses patrons (de Chine et de Russie). Son nom est Deng Xiaoping, mais pour l’instant, on le surnomme « monsieur Ronéo », car il passe ses soirées à tirer des revues subversives  ronéotypées. Il croise parfois, chez ses amis du PCF, un Vietnamien souriant, un certain Ho-Chi-Minh, ou encore un autre Chinois, au port aristocratique caractéristique de la culture mandarinale, un certain Zhou Enlai. Là, en France, comme d’ailleurs un peu partout à travers l’Occident, les futures élites de la révolution asiatique apprennent à fusionner leur héritage stratégique chinois avec les innovations occidentales. Et ces élites sont, par la force des choses dans toute action clandestine, initiées à la politique sous l’angle du travail de renseignement.

Les réseaux secrets du PCC s’appuient alors beaucoup sur la minorité Hakka. Il est intéressant de connaître, dans ses grandes lignes, l’histoire de ce petit peuple, membre de la grande famille Han, obligé de se réfugier au sud de l’Empire du Milieu, il y a des siècles, pour fuir les guerres du nord. Déshérités de la Chine, ces « Hakkas » ont développé des habitudes, des capacités, une aptitude générale à la survie sans base territoriale stable, qui ne sont pas sans rappeler les caractéristiques des Juifs ashkénazes en Europe (jusque dans leurs liens structurels avec une société secrète dite des « Grands Frères », la Gelaohui, qui fonctionne par imbrication entre mystique et action). Leur utilisation par les services chinois démontre que le rôle particulier des milieux ashkénazes dans l’histoire des mouvements révolutionnaires ne tient pas à une spécificité juive : elle est d’abord la conséquence d’une isomorphie entre les  aptitudes qu’imposent le nomadisme et les exigences de l’action clandestine.

Les services secrets du PCC se sont formés progressivement, à travers les années de lutte, de 1921 à 1949, constamment sur deux fronts : le front intérieur, où ils apprennent les techniques de l’espionnage (surtout militaire), de l’infiltration (des milliers d’agents du PCC furent « injectés » dans l’appareil du Kuomintang et parmi les informateurs de la police), de la contre-infiltration (exécution systématique des traîtres) et de l’action directe (service action particulièrement violent, utilisé à des fins terroristes), contre les impérialistes occidentaux ou japonais et contre le Kuomintang… mais aussi un front extérieur, où ces services développent des stratégies d’influence méthodique sur les communautés chinoises (surtout à des fins de renseignement non militaire).

Les services secrets du PCC constituent donc un « fait nouveau » dans l’histoire de la Chine : un appareil qui n’est pas spécifiquement centré sur l’Empire du Milieu, mais possède, comme aptitude native, une capacité de projection hors frontières. Cet aspect de leur histoire est essentiel pour comprendre leur efficacité présente : ils sont la synthèse entre vision chinoise et vision occidentale – en quoi on peut supposer qu’ils sont potentiellement plus souples et réactifs que leurs adversaires, en général plus mono-culturels.

Une autre caractéristique des services secrets chinois résulte de leur naissance dans les années de lutte : formés à une époque où le PCC grandissait très vite sans pouvoir vraiment contrôler les adhésions, ils devaient, pour éviter les infiltrations, définir un corps particulier dans cet ensemble. Il en est résulté qu’ils se sont en pratique organisés progressivement comme une sorte de secte à l’intérieur du PCC, ayant très peu de liens avec le reste de la structure. Dans ces conditions, étant donné la forte proportion de dirigeants qui sortent de leurs rangs, on peut un peu les voir à la fois comme des services secrets classiques, et aussi comme une sorte de « Parti intérieur », sur le modèle de l’opposition « Parti intérieur / Parti extérieur » proposée par Orwell dans 1984.

On remarquera, à ce propos, que la « contre-infiltration » donne aux services secrets chinois un pouvoir énorme sur tout l’appareil du Parti : de nombreux cadres de ces services ont participé, au moment des « procès de Moscou », à l’épuration anti-trotskiste de Staline. La leçon fut bien apprise, comme l’histoire du maoïsme le démontra : un des maîtres des services secrets chinois sous Mao, Kang Sheng, importa dans le PCC la technique stalinienne des « quotas de traîtres », visant à épurer le Parti régulièrement, sur la base d’une « proportion supposée » de « déviationnistes ». On peut estimer qu’au fond, Mao, pendant une grande partie de son « règne », ne fut que la marionnette des services secrets du PCC.
Etudier les services secrets chinois, c’est probablement étudier le vrai pouvoir à Pékin.

*

Et aujourd’hui, où en sont les services secrets chinois ?
Quand Deng Xiaoping parvient au pouvoir, en 1978, il commence par réorganiser les services secrets. Pour cela, il conduit une sorte de déstalinisation à la Chinoise, qui épargne la figure tutélaire de Mao (pour ne pas fragiliser l’image du Parti dans les masses populaires) mais écrase les héritiers de Kang Sheng. C’est un peu comme si Khrouchtchev avait fait liquider Beria sans condamner le culte de la personnalité. Deng sait parfaitement ce qu’il fait : pour venir lui-même du sérail des services secrets, il en connaît la puissance. Il sait qu’il suffit de se rendre maître de cette citadelle-là, pour conquérir tout l’Empire.

A la différence de Mao (un Néron déguisé en César), Deng est un authentique visionnaire et, indiscutablement, un des  plus grands hommes de l’histoire chinoise. Il désosse méthodiquement les services secrets du PCC, ne leur laissant qu’un travail de surveillance politique mineur, et réaménage les éléments qu’il en a sortis pour fabriquer une grande agence d’espionnage aux méthodes modernisées. Le modèle en est le KGB, et le nom du service, « Guoanbu », est d’ailleurs l’acronyme de « ministère de la sécurité d’Etat » (tout comme KGB est l’acronyme de « comité de la sécurité d’Etat »). Le cœur de son travail : renseignement extérieur et contre-espionnage. La surveillance de la population dans une perspective idéologique passe au second plan, puis disparaît presque.

Voici l’organisation mise en place sous Deng, et qui est semble-t-il encore en place aujourd’hui, à quelques nuances près (certains bureaux ont été divisés, d’autres ont changé de numéro) :
Le 1er Bureau s’occupe de la sécurité intérieure. C’est un service de contre-espionnage au sens large, disposant de sa propre police, et même de ses propres camps au sein du Lao Gai. Il ne s’occupe pas des questions de conformité idéologique, mais du démantèlement des réseaux d’espions une fois ceux-ci détectés par le 6ème Bureau. Il est vrai que dans un pays comme la Chine, la frontière est parfois poreuse entre déviation idéologique et trahison…

Le 2ème Bureau s’occupe du renseignement à l’étranger. Il fait un travail assez comparable à celui de la CIA, de la DGSE ou du FSB. En France, il est particulièrement actif dans l’étude des réseaux d’influence vers l’Afrique francophone (la cible numéro un de Pékin).

Le 3ème Bureau s’occupe de l’infiltration dans les zones visées par l’expansion chinoise (Taïwan en premier lieu). Son travail fut en grande partie à l’origine de la rétrocession bien conduite de Hong Kong : quand elle eut lieu, pour l’essentiel, le scénario avait été pré-cadré avec des élites locales déjà sous influence.

Le 4ème Bureau s’occupe de la technologie. Il assure la logistique des autres bureaux.

Le 5ème Bureau contrôle le renseignement local. Il doublonne en partie avec le 6ème et le 1er, mais le doublonnage des fonctions est une des règles de l’espionnage, et surtout du contre-espionnage.

Le 7ème Bureau se charge des opérations spéciales (surveillances, action directe). Il travaille sur requête des autres bureaux. C’est l’équivalent du Service Actions de la DGSE.

Le 8ème Bureau se charge de la recherche au sens large, en grande partie à partir de sources ouvertes. C’est une cellule de veille.

Le 9ème Bureau est chargé de la contre-infiltration. C’est la police interne du Guoanbu.

Le 10ème Bureau assure la « recherche de l’information scientifique et technique ». En clair, il est spécialisé dans l’espionnage industriel (LA priorité de la Chine depuis quelques décennies).

Le 11ème Bureau gère le parc informatique, le déploie et le sécurise (une fonction évidemment de plus en plus cruciale). Il est aussi chargé du travail de recoupement des sources informatiques. Fait peu connu, il doit son organisation générale et ses techniques dans ce domaine à une coopération avec la République Fédérale d’Allemagne (qui, dans le cadre d’un accord, transmit au 11ème Bureau des services chinois le savoir-faire acquis lors de la traque des membres de la Rote Armee Fraktion, d’inspiration maoïste – l’histoire est parfois franchement ironique).

Enfin, un « Bureau des  affaires étrangères » est chargé des relations avec les autres services de renseignements équivalents, dans les pays étrangers (alliés ou ennemis). Une des forces des services chinois est leur grande aptitude à construire des partenariats fluides.

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Cette organisation est, comme le démontre Roger Faligot, l’épine dorsale du pouvoir chinois contemporain.

1989 : Tian Anmen. Tout le monde se souvient des images de l’écrasement de la « commune étudiante » par les chars. Ce qu’on sait moins, parce qu’il n’y eut pas d’images, c’est que des unités de l’Armée Populaire se sont, à ce moment-là, combattues mutuellement. Certains régiments pékinois refusèrent de laisser les troupes amenées de province écraser les étudiants. Et ce sont en partie les services secrets, par leur action déterminée et précise, qui permirent la mise au pas des troupes récalcitrantes. On sait moins, également, que la Sécurité d’Etat avait repéré des agents de la CIA conduisant, auprès des étudiants pékinois, des opérations de « renseignement agressif » (en clair : des manipulations). Et on se doute que ce repérage n’a pas été pour rien dans l’écrasement final du mouvement (depuis cette date, les services chinois, instruits par l’expérience, étudient sans relâche les opérations de déstabilisation commanditées par leurs adversaires ; on sait par exemple qu’ils ont collecté une masse d’information considérable sur la « révolution orange » ukrainienne, et remonté la piste de ses bailleurs de fonds).

Revenons à Tien Anmen. En somme, Deng avait fait le bon pari : qui tient le Guoanbu, tient la Chine. Deng en tirera aussi toutes  les conclusions à l’heure de s’en aller : c’est un des maîtres des services secrets qui, au moment décisif de 1989, juste avant de faire « ce qu’il fallait », lui signala Jiang Zemin comme un « homme sûr ». En quittant le pouvoir, Deng fera donc de Jiang son successeur – un homme en réalité choisi par les services secrets, et qui pourrait compter sur leur loyauté. Pour assurer l’intérim, pendant quelques temps, entre Deng et Jiang, le PCC aura un secrétaire général « de transition ». Son nom ? Qiao Shi. Son ancienne fonction ? Chef des services spéciaux.
La stabilité de l’Empire chinois ? Voilà à quoi elle tient.

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Sous Jiang Zemin, l’organisation du Guonbu n’est pas fondamentalement modifiée, même si l’organigramme se détaille (passage à 18 bureaux). Surtout, les services chinois se technicisent, se développent et se tournent massivement vers l’espionnage industriel. Des sections de recherche spécialisées par zone géographique sont constituées. Le Guonbu de Jiang Zemin modifie ainsi progressivement son orientation : le contre-espionnage reste fort, mais l’espionnage devient plus fort que lui. C’est, désormais, un service mondialisé et technicisé, à l’image de la CIA. Le modèle KGB s’éloigne.

Instruit par l’expérience de Deng, Jiang veille tout particulièrement à conserver la mainmise sur les services secrets. Qiao Shi est progressivement marginalisé : le Guonbu peut faire l’Empereur, mais il ne peut pas être l'Empereur. En interne, Jiang utilise les « services » pour accroître la répression contre toute dissidence, au fur et à mesure qu’il promeut par ailleurs une ouverture (très contrôlée) en vue d’accélérer le développement économique.

Le niveau d’information acquis par la Sécurité d’Etat chinoise est, à partir de la fin des années Jiang, comparable à celui des autres grandes centrales de renseignement. Quand l’ambassade de Chine à Belgrade est bombardée, Clinton finit (après moult difficultés) par avoir Jiang au téléphone. Celui-ci lui confirme qu’il ne croit pas le président US responsable, et pense que « des gens », au sein de la CIA ou du Pentagone, ont délibérément provoqué le bombardement pour tenter de bloquer le développement des relations USA-Chine.

Simple hypothèse gratuite ? En interne, il semble bien que le Guonbu ait indiqué à Jiang de quoi il retournait : on relèvera à ce propos que l’aile de l’ambassade pulvérisée est celle où se trouvait le bureau d’un attaché militaire chinois auprès de l’armée serbe. Un attaché militaire qui travaillait efficacement pour aider le régime Milosevic, allant jusqu’à autoriser les Serbes à utiliser le matériel de l’ambassade de Chine pour leurs propres transmissions militaires. Il est vrai qu’il est aussi possible que le Guonbu ait fabriqué son dossier, afin de justifier un accroissement de ses propres moyens....
En tout cas, nous vivons une époque où les dirigeants des deux plus grandes puissances du monde en sont réduits à compter sur leur homologue pour être renseignés sur leur propre agence de renseignement.

Sous Jiang, puis sous Hu Jintao, le Guonbu développe énormément ses capacités en matière d’espionnage industriel et technologique. Pour les seuls USA et Canada, le FBI estime que Pékin possède un réseau de 2.000 fonctionnaires, officiels et journalistes, chargés de recueillir du renseignement en zone blanche (information ouverte) ou grise (information confidentielle récupérable par des voies légales). Sur les milliers d’étudiants chinois présents sur le sol US (souvent des « princes rouges », c'est-à-dire des enfants de cadre du Parti), une proportion non négligeable est chargée de recueillir des informations (en particulier dans les laboratoires de recherche où ils sont amenés à faire des stages). En France, l’affaire Huang Lili (étudiante probablement chargée d’espionner industriellement Valeo) a donné une bonne illustration de ce phénomène.

A cela s’ajoutent les « poissons des profondeurs » (terminologie chinoise), c'est-à-dire les agents clandestins chargés d’opérations spéciales (pénétration clandestine dans des lieux sécurisés, piratage informatique, etc.). Pékin possède dans ce domaine un réseau d’espionnage de premier ordre. Probablement, seuls le FSB et le MOSSAD ont de tels moyens d’infiltration. En comparaison, la DGSE et le BND font piètre figure.

Cela dit, l’arme principale en matière d’espionnage technologique reste le système des joint-ventures. Le Guonbu est passé maître dans l’art de « mettre la pression » à des cadres étrangers, pour qu’ils transfèrent des technologies dans un cadre illégal, à la faveur de transferts légaux. Le dispositif s’accompagne souvent d’offres de financement parallèle (une technique employée aussi dans un cadre plus politique, avec le financement discret de politiciens, aux USA en particulier). La Chine ne possède pas seulement une Diaspora immense, des Zones Economiques Spéciales qui fonctionnent comme des filtres à technologie : elle peut aussi compter sur des ressources financières gigantesques. Là encore, on peut remarquer que son influence aux USA vient curieusement percuter celle des réseaux pro-Israël, jusque sur leur terrain de prédilection.

Enfin, l’Internet est progressivement devenu un des principaux terrains d’action des services chinois. Ils ont participé à l’élaboration de la Grande Muraille qui protège l’Internet chinois, surveillent les utilisateurs (le Guonbu laisse des sites dissidents accessibles… pour repérer ceux qui s’y connectent) et filtrent les informations qui peuvent venir de l’étranger. Les services chinois semblent aussi coordonner, en partie du moins, les attaques conduites par les hackers chinois (parmi les meilleurs du monde), attaques qui visent en priorité des sites gouvernementaux et les ordinateurs personnels de fonctionnaires ou cadres étrangers. Les services chinois se sont par ailleurs saisis de la technologie Internet pour sécuriser leurs communications : se sachant écoutés par le réseau anglo-saxon Echelon (station australienne d’Alice Spring), ils ont développés leurs propres autoroutes de l’information, par fibre optique, souvent dédiées à l’utilisation militaire.

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Et la France ?
Ma foi, dans la ville-école du Guonbu, où les services secrets chinois avaient copié, quartier par quartier, les villes des pays-cibles, afin que les futurs espions s’habituent au mode de vie du pays où ils devraient évoluer, il y avait un quartier français (aujourd’hui, on peut supposer que les méthodes se sont modernisées…).

La France est, d’après Roger Falligot, un des « cœurs de cible » du Guonbu. Elle est facile à pénétrer (société très ouverte, élites très corrompues, attirance culturelle mutuelle entre deux civilisations universalistes, anti-américanisme prononcé, existence d’un fort courant maoïste souvent reconverti mais toujours accessible, richesse d’un monde associatif peu contrôlé, et surtout, bien sûr, importante communauté chinoise). Le contre-espionnage français estime que 10 % des 4.000 restaurants chinois de la région parisienne servent de paravent à des activités du Guonbu.

Récemment, les Chinois auraient utilisé leurs puissants réseaux français pour mettre « sous la loupe » un personnage qui ne leur inspire pas grande confiance : Nicolas Sarkozy. La nomination de Bernard Kouchner au Quai d’Orsay n’a pas plu à Pékin (on comprend aisément pourquoi).

Apparemment, si l’on décode bien ce que Roger Faligot sous-entend, les Chinois sont assez vite arrivés à la conclusion que le personnage serait aisé à circonvenir – un contrat Airbus, qu’est-ce que c’est pour la Chine de 2010 ? A peu près l’équivalent d’un contrat sur le gaz naturel avec l’Algérie, pour nous…