| Notes sur oeuvres - Politique | 
 « Qu’ils s’en aillent tous ! »
Rien qu’au titre, on se dit qu’on va avoir droit à un livre populiste.
Et, à la lecture, on se dit qu’on a en effet droit à un livre populiste.
D’ailleurs, Mélenchon l’assume, et même le revendique : il veut  être populiste. Parce que, il l’avoue à mots à peine couverts, il pense  qu’une vague populiste se prépare, et tant qu’à faire, il aimerait bien  la chevaucher.
Voilà  qui a le mérite de la clarté, et nous évitera une critique banale sur  le thème « encore un politicien qui veut surfer sur le populisme ». Nous  savons maintenant pourquoi « Méluche » a, jadis, suggéré l’interdiction  du FN : c’est parce qu’il veut prendre la tête d’un front « de  gauche », qui captera l’électorat populaire du FN.
A vrai dire, on s’en doutait.
Ce constat d’évidence évacué, ouvrons donc l’ouvrage, et faisons l’inventaire des thèses et propositions du sieur Mélenchon.
*
Thèse  1 : fondamentalement, ce dont crève la France, c’est de la répression  exercée par les oligarchies sur les forces productives. Donc, l’objectif  est de libérer les forces productives, en brisant le pouvoir des  oligarchies.
Thèse  2 : il existe aujourd’hui des exemples de peuples qui ont récemment  réussi à briser leurs oligarchies, ce sont les peuples sud-américains  (Venezuela, Equateur…). C’est leur exemple qu’il faut suivre, en  déclenchant une « révolution citoyenne », c'est-à-dire faite par les  citoyens, dans le cadre d’une prise en main collective de son destin par  le peuple, à travers une démocratie plus ou moins référendaire.
Thèse  3 : pour rendre possible cette « révolution citoyenne », il faut faire  radicalement évoluer les institutions, au point de les refonder. Donc,  il faut une nouvelle constitution (la VI° République). Et donc, il faut  une assemblée constituante. Proposition : que cette assemblée soit en  elle-même un renouvellement, et pour cela, que les députés actuels ne  soient pas éligibles.
Thèse  4 : une fois les institutions politiques refondées, les autres  institutions suivront. L’école redeviendra le lieu de formation des  futurs citoyens (Mélenchon a le courage d’assumer le bilan désastreux de  la « gauche », et n’hésite pas à parler de la casse de l’Education  Nationale, pour le plus grand intérêt final des marchands d’éducation –  il faut lui reconnaître ce point). Les médias seront pris en main par  les citoyens, à travers des institutions permettant l’appropriation de  la parole publique par le « public » lui-même, qui cessera donc d’être  un « public » pour redevenir un corps civique (les détails de la réforme  envisagée ne sont pas exposés, ce qui fait qu’on ne voit pas très bien  en pratique en quoi cette solution diffèrerait radicalement d’une banale  appropriation de l’outil médiatique par l’Etat).
Thèse  5 : une fois les institutions (politiques et autres) refondées, il sera  possible d’enclencher une véritable révolution sociale.
Dans l’ensemble, le contenu de cette révolution sociale reste assez nébuleux.
Sur  le diagnostic, Mélenchon dénonce le rôle des banques, mais son analyse  n’est pas très approfondie. Il expose comment le partage de la valeur  ajoutée se fait toujours davantage en faveur du capital, mais il  n’explique pas comment cette évolution est contrainte par le système de  mondialisation. On lui reconnaîtra en revanche un bon point : il ne  manque pas la distinction entre le capital industriel productif (TPE et  PME, en particulier) et le capital spéculatif totalement nomade et  mondialisé (multinationales, grandes institutions financières).Il  parvient à énoncer une position relativement claire sur la localisation  exacte du front dans la présente lutte des classes. Sur ce point, il est  beaucoup plus lucide que l’extrême gauche LO (ne parlons pas du NPA).
Sur  le remède, on n’arrive pas vraiment à savoir si le projet économique  est une relance par la consommation ou par l’investissement. Le titre du  livre donne au fond à peu près tout le programme : « Qu’ils s’en  aillent tous ! », c'est-à-dire, en matière économique, « que les patrons  du CAC 40 et les économistes fous s’en aillent ». Il s’agit de proposer  un nouveau partage de la valeur ajoutée à la faveur d’un renouvellement  massif des élites économiques, mais on ne sait ni comment ce  renouvellement se fera (ce n’est pas forcément le pouvoir politique  français qui nomme les patrons du CAC 40, en l’état des choses en tout  cas, puisque ces firmes ne sont souvent plus françaises  que de nom), ni  pour mener quelle politique exactement. On peut supposer, au ton  général de l’ouvrage, que les méthodes Chavez sont envisagées, mais on  regrettera ici l’absence d’une réflexion sur la possibilité de  transférer ces méthodes à un pays comme la France, dont l’industrie est  fortement intégrée à la mondialisation, et dont le niveau de  développement technologique et capitalistique est tout de même différent  de celui du Venezuela.
Thèse  6 : pour que cette révolution sociale vive, il faut aussi, outre les  institutions, changer les mentalités. Mélenchon prend par exemple le cas  Anelka, et fait remarquer que ce personnage réfugié fiscal en  Grande-Bretagne ne se pose pas la question de savoir comment a été  financée sa formation (c'est-à-dire : par le contribuable français).  Moins anecdotique, « Méluche » propose de briser totalement l’esprit  d’irresponsabilité des classes dirigeantes (ah, l’ivresse des  rémunérations en siècles de SMIC !) en adoptant une fiscalité  confiscatoire pour les très hauts revenus.
Thèse  7 : l’ensemble de ces mesures n’est évidemment applicable que si la  France « sort du traité de Lisbonne ». Sur ce plan, l’analyse de  Mélenchon recoupe, il faut le reconnaître, à peu de choses près celle de  la plupart des intervenants de ce site : l’Europe est, dit-il, une  « gargouille », s’exprimant en globish, qui coûte à la France beaucoup  plus que ce qu’elle lui rapporte. On notera au passage que Mélenchon  parle des projets de marché transatlantique et en souligne (sans entrer  dans les détails) la nocivité. C’est certainement la partie de l’ouvrage  la plus intéressante, celle où Mélenchon devient authentiquement  politique, puisqu’il désigne un ennemi (l’Europe de Bruxelles, telle  qu’elle s’est faite concrètement), et propose clairement une stratégie  de combat (frontale : il propose que la France réclame un « opt out » à  la carte pour les règles communautaires, ce qui implique une  revendication de souveraineté effective). Point positif : Mélenchon  avoue avoir été fédéraliste « idiot utile », qui n’avait pas compris que  l’UE était devenue le cheval de Troie des USA. Mais en revanche, autre  point, qu’on pourra juger négatif : il maintient que le fédéralisme  européen sera, un jour, dans un autre contexte, un projet à reprendre  (on sera d’accord… ou pas !).
Thèse  8 : au-delà de la « sortie du traité de Lisbonne », la France doit  entreprendre une politique internationale audacieuse, pour une véritable  « planification écologique », seul moyen de sauver l’écosystème de  l’humanité. Mélenchon prend ici une position très claire, n’hésitant pas  à dénoncer « l’écologie business » qui voudrait nous vendre la  poursuite des tendances actuelles (modes de production et de  consommation anti-écologiques), en faisant porter le coût écologique de  ces tendances sur les peuples et classes pauvres. A noter en  particulier : sa prise de position en faveur d’une relocalisation  générale des activités, pour un localisme qui permettrait de réduire le  coût énergétique et écologique associé à l’explosion des flux du  commerce international. Il en déduit qu’il faut mettre un terme au  libre-échange (sans entrer dans le détail du protectionnisme à mettre en  place).
Thèse  9 : enfin, pour rendre possible cette entreprise plutôt de bon sens,  Mélenchon souligne qu’il faut se préparer à affronter le « risque  américain » (c'est-à-dire l’usage de la force par l’Empire US confronté à  son déclin dans l’économie). Il en déduit, en particulier, que la  France ne doit pas accepter de désarmement nucléaire unilatéral, mais  promouvoir un désarmement concerté entre les grandes puissances.
Par  ailleurs, sur la question iranienne, il propose une dénucléarisation  complète du Moyen Orient, Israël devant, lui aussi, renoncer à l’arme  nucléaire.
*
Il  n’y a sans doute pas de raison, pour la plupart des intervenants de ce  site, de rejeter le « programme » proposé par « Méluche ».  Fondamentalement, ce qu’il dit est logique, et, sous réserve  d’inventaire, tout le monde devrait être à peu près d’accord, ici.
La  critique, si critique il y a, ne pourra porter que sur les angles morts  du discours. Le problème, ce n’est pas ce que dit Mélenchon, c’est ce  qu’il ne dit pas.
Pas  un mot sur la question de l’identité du corps des citoyens qui forme la  France. C’est problématique : comment ne pas poser la question de ce  qui unifie la Cité « France », aujourd’hui ? Et si cette question n’est  pas traitée, comment définir ensuite le corps des citoyens ? Les  islamistes wahhabites financés par les pétrodollars saoudiens, les  binationaux (de papier ou de cœur) du CRIF, vont-ils tous, d’un même  élan, passer outre les injonctions de leurs patrons respectifs (ou même  pas respectifs…), pour se joindre au corps des citoyens qui feront cette  révolution ? Sans tomber dans l’obsession anti-communautariste, on peut  tout de même soulever la question, et s’étonner du silence de Mélenchon  sur ce point. Un peu gêné aux entournures, « Méluche », peut-être ?  Rappelons ici la blague qui circulait sur le cabinet Mélenchon, au temps  où l’impétrant siégerait au gouvernement de Lionel Jospin : « C’est un  cabinet très à gauche… du Jourdain ! »
Pas  un mot non plus sur la nécessité de démanteler certains réseaux  d’influence, qui pourtant ont une part de responsabilité dans le  désastre. On aimerait bien, pourtant, qu’un ancien ministre de  l’enseignement professionnel nous explique qui, au juste, a « cassé » l’Education Nationale. Le « qu’il s’en aille tous »  doit-il aussi s’appliquer à la sous-intelligentsia « de gauche »,  ou encore à la franc-maçonnerie (dont le moins qu’on puisse dire est  qu’elle a été mêlée au processus de sélection de ces élites qui  « doivent s’en aller ») ? Curieusement, « Méluche » n’a rien à dire  là-dessus. Etonnant, non ?
Et enfin, et surtout, pas un mot sur le « front élargi » qui, seul, pourra réussir une « révolution citoyenne ». 
A  ce propos, on peut se poser la question suivante : imaginons que Marine  Le Pen soit élue à la tête du FN en janvier 2011 (ce n’est pas certain,  mais assez probable). Imaginons qu’elle inscrive dans son programme  politique le retour à la souveraineté monétaire (abolition de la loi  Pompidou) et la sortie du « traité de Lisbonne » (clause d’opt-out pour  la France, valable sur toute directive européenne). Imaginons encore que  ces orientations ne figurent pas dans le programme du Parti Socialiste  (absurde si le candidat est DSK, hautement improbable si c’est Aubry).  Et imaginons encore (tant qu’on y est), que le second tour oppose Marine  Le Pen à Aubry (ou DSK, ou Royal, ou un PS quelconque). Ce n’est pas  encore probable, mais c’est en tout cas possible, vu l’état de  déliquescence de l’UMP.
Dans une telle configuration, pour qui « Méluche » appellerait-il à voter ?
Voilà  la question qu’on voudrait lui poser. Ne serait-ce que pour vérifier si  Mélenchon est un simple rabatteur du PS, ou, ce qui peut sembler  improbable mais serait autrement plus intéressant, un pion  pré-positionné par certains réseaux d’influence pour capter une  réorientation politique globale de fond.
 


Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire